« L’illusion du temps », de Jacques Attali

L’article ci-dessous est une critique de l’article de J. Attali nommé « L’illusion du temps ». Certains y liront une attaque de la personne Attali. Je ne m’en prends qu’à ses idées les plus nocives. Il constitue par certains passages une lettre ouverte au principal intéressé, qui ne m’a jamais répondu jusqu’à aujourd’hui autrement que de façon agressive ou méprisante.

Sommaire

Article cité : attali.com/societe/lillusion-du-temps/

Jacques Attali parle souvent du temps, il en dit beaucoup de sottises, parfois de vraies idioties. C’est le cas avec ce nouvel article, nommé à juste titre « l’illusion du temps » par l’illusionniste en personne.

Après un catalogue des temps : « il y a le temps universel (…) il y a le temps politique (…) il y a le temps économique », il arrive à désigner son coupable favori (le capitalisme) faute de pouvoir établir une conception du temps. Après avoir échoué à saisir l’unité conceptuelle du temps, il dévoie le concept économique à travers une personnification grotesque.

Extraits :

Pour le capitalisme omniprésent, pas une seconde de nos vies ne doit etre sans consommation. Pour le politique, pas une seconde de nos vies ne doit nous permettre de réfléchir.

On dirait du Viviane Forrester, version faute d’orthographe… Puis il passe en mode animiste vaudou :

Le capitalisme déteste le repas, occasion de converser, et de dire du mal de lui. Il adore les fast Food, les réseaux sociaux, les sites d’achat en ligne, ou d’abonnements numériques. Il ne nous propose même pas en échange une solitude méditative.

Redoutable : tout en décrivant une bonne partie de l’électorat socialiste sans le nommer franchement, il glisse dans la posture gauchiste et son anti-capitalisme primaire. Là où il devrait avoir l’honnêteté d’accuser ses propres partisans, qui effectivement souffrent d’une représentation tellement altérée du capitalisme qu’ils passent leur vie à courir après sans comprendre comment en tirer partie, il feint de démasquer le politique de droite, satanique, qui de sa main invisible ne nous « permet pas de réfléchir ». La ficelle est grosse mais comme elle est éprouvée de longue date, il la tend une nouvelle fois. Comme d’habitude, il vise à emmener les moins instruits dans sa déroute en parsemant ses hérésies d’annonces apocalyptiques.

Si Kant est trop compliqué pour Attali et que les conditions a priori de la sensibilité lui sont étrangères ou encore qu’il réplique à la distinction entre temps et durée chez Bergson : « je ne vois pas l’intérêt de cette distinction », alors commençons par nous mettre à son niveau pour amorcer une pensée sur le temps qui puisse raisonnablement nous amener au capitalisme. Pour débuter une réflexion sur un sujet qu’on ne maîtrise pas encore, rien ne vaut Alice au pays des merveilles (Lewis Caroll p104) ou le Petit Prince.

Voici en substance une découverte Capitale sur le Temps :
« Si vous connaissiez le Temps aussi bien que je le connais moi-même, vous ne parleriez pas de le gaspiller comme une chose. Le Temps est une personne. »

Alice au pays des merveilles

Attali se retrouve comme Alice au pays des merveilles face au Chapelier  :

Alice soupira d’ennui. « Il me semble que vous pourriez mieux employer le temps, » dit-elle, « et ne pas le gaspiller à proposer des énigmes qui n’ont point de réponses. »

« Si vous connaissiez le Temps aussi bien que moi, » dit le Chapelier, « vous ne parleriez pas de le gaspiller. On ne gaspille pas quelqu’un. »

« Je ne vous comprends pas, » dit Alice.

« Je le crois bien, » répondit le Chapelier, en secouant la tête avec mépris ; « je parie que vous n’avez jamais parlé au Temps. »

Le temps, une personne ? et non une chose à gaspiller comme un horrible capitaliste ? Il ne faut plus parler du temps mais se mettre à parler au temps : que cela signifie t-il ?

S’il « y a », comme le dit Attali, du temps, c’est parce qu’aucune intelligence n’embrasse l’ensemble des mouvements. Un esprit qui saisirait tout l’enchevêtrement des causalités décrirait les mouvements physiques des systèmes dans des référentiels, il ne parlerait pas de façon isolée du « temps », il nous parlerait uniquement de la structure de l’espace-temps, la même qui régit tout effet, la même qui constitue les conditions a priori de la perception. La finitude de l’intelligence humaine oblige à penser le tout uniquement dans ses parties concevables, observables et en mouvement relatif, sans jamais parvenir à com-prendre, prendre l’ensemble. Ainsi c’est la finitude d’un individu qui régit son rapport et donc son propos (par lequel il ne reste du Logos que la logique des symboles de la re-présentation) sur l’espace-temps en moments saillants nommés très approximativement « temps », comme un décompte fini. « Du temps », « des temps » comme chez Attali, mais pas le Temps. Cela tient notamment chez l’individu à l’émergence de deux moments saillants dans sa phénoménologie intuitive, qui correspondent à deux moments d’expérience primordiale de la finitude du corps :

  1. Un âge d’or universel : l’expérience initiatrice de la finitude du corps de la mère enceinte.
  2. La réalisation toujours certaine et tragique de la finitude de tous les corps.

Entre les deux, un puissant mais raté projet de continuum pour assurer l’intégrité du sujet, étirer l’âge d’or jusqu’au terme (et même au-delà dans la symbolique des croyances), le plus souvent et très jeune mis en échec : le sujet se réduit à l’état d’in-dividu, une chose qu’on se propose de renoncer à diviser, l’objet d’une représentation collective, un fétiche. Il ne reste de ce manque d’accès au tout (y compris du sien, soi comme membre intègre du tout) qu' »un début » idéalisé et « une fin » tragique. Chez l’individu intuitif (non scientifique), la part du temps qui n’est pas accessible au noétique est renvoyée à l’affectif : le temps fait peur, « surtout vers la fin ». Or, on va le voir, le capitalisme est la conséquence la moins malheureuse de ce doublet du déni de la mort et du système de représentations qui créé et valorise des objets symboliques de substitution à ceux de la nature.

Il faut s’en réjouir, c’est une question de vie ou de mort. Dans un projet capitaliste, la fin d’un temps peut représenter un succès. Le capitalisme est le seul ensemble de représentations symboliques expérimenté à grande échelle qui soit capable d’extraire des groupes humains entiers de la temporalité sinistre de la nature naturante, celle entre autres de la misère, de la famine et de la mortalité infantile massive. Les seuls pré-requis pour qu’il soit fonctionnel pour l’individu :

  1. Qu’il en ait compris les fonctions symboliques de base
  2. Qu’il réside dans un état qui ne l’a pas rejeté
  3. Qu’il ne subisse pas une influence idéologique qui le prive de son droit à réussir*

*comme le socialisme de mauvaise foi à la Attali par exemple.

Le capitalisme est une révolution venue mettre fin à près de 300 000 ans de lutte de Sapiens pour sa survie contre la nature. Il existe de multiples liens entre Temps et Capitalisme et ce sont des liens radicalement structurants pour une société civile durable.

Note pour plus tard : La réduction du Sujet à l’individu correspond à une troncature intuitive appliquée au temps universel d’une portion de matière en mouvement labellisée « soi » ou « personne ». C’est le drame socialiste de s’être construit contre l’individu sans voir que le négatif de l’individu est la nature, non la société. Et de n’avoir par conséquent par pu comprendre l’émergence du capitalisme, cette capacité symbolique (subjective et commune) à augmenter la perception objectale par ses représentations, à créer de la valeur par-delà le sensible, à faire de cette valeur le « vrai » « objet » d’échange (le factice devient vrai car il est plus fonctionnel dans la mesure où il favorise la survivance de l’individu et de son groupe) et du même coup à entrer dans un rapport de négociation avec le temps de la nature, (nature qui rend le futur nécessaire mais sur le mode chaotique de niveau 1, qui autorise d’établir des prévisions) pour une bonne part basé sur le sacrifice du présent pour l’avenir – le Travail et l’Investissement par exemple. Le capitalisme est une victoire exceptionnelle du noétique sur l’objectal et une décentralisation du contrôle du temps de la nature naturante vers la nature naturée : la Liberté pour-soi ! Je reviendrai ailleurs sur le Sujet.

Les effets de la finitude corporelle sur le noétique

1. La finitude de l’individu est d’autant plus saillante qu’elle est le privilège absolu dont dieu lui-même est privé, car il ne saurait être fini, jouir d’une existence finie. Nous jouissons de ce à quoi l’absolu n’a pas accès. Cette modeste chance est aussi ce qui nous coupe du transcendant et nous expose à la terreur. L’effroi de la mort amène naturellement à son déni dans l’univers symbolique, ce qui nous pousse collectivement à l’invention créative ou à la participation à un monde de représentations en grande partie « nettoyé » des incuries inacceptables de la nature corporelle. C’est notre finitude corporelle, spatio-temporelle qui nous pousse à nous représenter et échanger les objets « comme on le désir », fictifs en-soi et vrais pour-soi, de façon existentialiste et avec l’idée de pro-jet, de but, de réalisation de soi par-delà l’état naturel, par-delà les in-stances déjà réalisées (passé et présent). Nos représentations transcendent la nature corporelle, pour-soi et nous font sortir de notre état naturel de finitude pour un autre, symbolique.

2. La mort vient donner un sens ultime mais fictif, comme souvent dans le système cognitif limité de Sapiens : la mort apparait mettre un terme durable au changement permanent de tout. Comme si la modification des combinaisons subatomiques qui structurent les corps entrainait la disparition des atomes eux-mêmes et leur clinamen. Le corps est le symbole de l’esprit dans cette représentation. Non seulement on vit dans le monde symbolique mais l’individu accoutumé au confort du symbolisme organisé (le capitalisme) finit par nier l’existence de la nature primitive hostile à laquelle notre système permet d’échapper et à prendre pour vraies les choses qui sont pourtant nos fictions ! Le problème de ce dérapage est qu’on finit par oublier pourquoi ça fonctionne ! Et certains comme Attali, depuis l’intérieur du monde symbolique le plus fonctionnel, reviennent avec leur terreur de la mort et la haine des illusions collectives sans voir qu’ils flottent réellement au-dessus du néant et qu’ils menacent de faire tomber la collectivité de son nuage noétique dans l’hostilité absolue, extrêmement létale, de la nature naturante.

C’est ainsi que l’on passe de la structure du temps, filtrée par les limites cognitives, à l’analyse de ses produits comme des petites choses contingentes et séparées. C’est arbitraire et factice, mais manifestement fonctionnel. Par cette juxtaposition partielle de l’objectif et du subjectif à partir d’une structure commune, le monde symbolique est ce qui prête ses caractéristiques et confère ses valeurs aux corps physiques.

=> N’est-ce pas exactement ce que fait aussi le capitalisme ? Y aurait-il un point de départ commun entre le Temps et le Capital ?

— Digression rapide : C’est d’ailleurs la performance du faux bien fini vis-à-vis du vrai infiniment complexe qui donne à des personnages comme Attali la possibilité de dire n’importe quoi sans que personne ne se lance dans une analyse épistémologique. Le faux est plus confortable que le vrai aussi souvent que le fictif remplace le réel, l’idée le corps. Dans l’univers symbolique, un certain niveau de viol des attentes ontologiques intuitives est plus qu’apprécié : telle idée sera objectivement fausse ou invérifiable mais tellement rassurante ou potentiellement stratégique qu’on l’adopte, la valorise davantage que leurs équivalents scientifiques ! Le vraisemblable se substitue au vrai dans la mesure où la logique naturelle apparaît partiellement dans la logique formelle. On peut dire n’importe quoi et paraître dire vrai si c’est « bien dit » ou si ça produit un fort effet, comme ici le capitalisme qui atterrit dans la catégorie ontologique « Personne ». Chez Attali, le recours à des figures de style littéraires et l’art pour aborder le sujet du temps fait exactement cela, la substitution du vraisemblable au vrai pour un maximum d’effets. Des livres entiers remplis d’idioties font le Capital bien réel d’individus comme Attali, qui ne visent pas le vrai, mais à re-présenter l’état de conscience du sujet idéal que l’individu projette de lui-même. Faire miroiter un progrès de soi par une information pseudo-capitale ou écarter un terrible danger par une information étonnante. Très proche de ce que font les ésotériques religieux qui parlent de la vie après la mort, par exemple, avec un maximum de vraisemblance pour séduire les foules et vivre de leurs faussetés. Le stratagème est ancestral, il confère une autorité et une place sociale enviables à ceux qui le pratiquent. — fin de la digression —

Le futur et le passé du corps humain, donc du système symbolique subjectif, se contiennent l’un l’autre, dans la mesure où l’on sait au début ce qui arrive à la fin. Le temps pour l’individu est le label donné à la série d’états d’objets finis perceptibles et accessibles à l’entendement fini de l’humain, compris dans leur infini recyclage atomique – c’est cela le temps du scientifique, il est mesurable et circonscrit à un système. L’homme du commun, qui baigne dans l’épistémologie et la phénoménologie intuitives, croit percevoir du temps dès lors qu’il ne voit pas au-delà des objets finis ce qui leur appartient en propre, leur essence, c’est à dire leur structure naturelle inaltérable. Au contraire, il prend les qualités accidentelles pour essentielles. C’est tout à fait le coeur du problème du temps comme notion dont il faut se débarrasser pour nourrir le concept du Temps qui n’a rien à voir. L’individu prend intuitivement la forme pour le fond et voit dans la matière organisée de telle ou telle façon (presque) contingente les traits fondamentaux des objets, de leur corps et même de leur « âme ». Ce temps-là, qui est effectivement une illusion, correspond davantage à une durée, elle n’est pas logique comme une science mais subjective comme un sentiment. Je fais référence à Bergson. Référence que Attali méprise ouvertement et qui l’amène à tenir exactement des propos représentatifs de la doxa. C’est bien séduisant mais c’est très socialiste, très très faux au fond.

La déclinaison atomique engendrée par la logique naturelle de la survivance des codes génétiques les plus adaptés à leur environnement a fait émerger quelques êtres dont la finitude apparaît plus saillante que chez d’autres. Les chiens ou les chats sont rapidement eux-mêmes, parfaits dans leur être, alors que l’altricialité secondaire de notre espèce contraint l’individu à appréhender l’espace sous l’angle du temps dès les premières heures de vie : il est longtemps urgent qu’il change d’état. Les deux formes qui composent la structure élémentaire de notre expérience sont dépendantes l’une de l’autre : je ne suis pas ce que je serai, je dois m’orienter vers l’altérité en permanence (mon futur moi, dans un espace plus valorisant que l’actuel et dans un autre temps) et faire le sacrifice du présent pour le projet de faire advenir un moi nouveau qui transcende l’ancien.

La structure du Temps et son archétype

La bible dévoile admirablement l’archétype du Temps dans le récit de Cain et Abel. Celui qui sait sacrifier le présent pourra jouir d’un futur. Celui qui n’investit pas correctement, c’est-à-dire celui qui ne sacrifie pas assez ses actifs présents à la faveur de son soi ultérieur, perd le temps pour l’éternité, il meurt symboliquement : le temps pour la Bible est bien le même temps que celui du Chapelier. Notre finitude nous oblige au sacrifice du soi présent pour faire émerger le Soi du futur.

Le temps est une personne. Il n’est pas une chose mais la plus haute valeur symbolique du corps de l’individu.

=> La symbolique du potentiel futur par l’investissement matériel dans le présent : n’est-ce pas encore une fois une caractéristique commune avec le Capital ?

=> Y aurait-il quelque chose de véritablement capital dans le Capital ? aussi capital que le Temps et qui placerait l’individu au coeur des ek-stases temporelles ?

Plus précisément, le temps est ce par quoi l’individu négocie la nécessité avec la nature : on sait que le futur adviendra et, bien qu’il n’existe jamais, nous pouvons dans le présent agir sur lui. Les ek-stases du temps sont une disposition cognitive singulière qui correspond à l’ancienne modélisation triunique de notre encéphale, avec trois niveaux ancestraux différents de traitement d’une même information, comme si chaque idée de soi traversait les temps immémoriaux pour faire émerger le soi présent. Les données sensibles viennent informer les zones sensorielles de façon désorganisée et l’information se propage depuis les aires les plus primitives, les affects vers la zone la plus récente dans l’évolution des espèces, le néocortex, en passant par un système d’orientation ancestral à la fois simple et fonctionnel : le système limbique. Système qui permet à l’individu de fuir les situations désagréables et de s’orienter de préférence vers les situations plus confortables. Dès réception de l’information stratégique sur son environnement, l‘affect déclenche une recherche de soi alternatif, plus adapté. Le noétique propose des solutions avec l’appui des séquences d’imagination et pour chaque « match » la négociation est arbitrée par le limbique. Le temps est ainsi la structure sous-jacente qui lie les aires pour leur donner une unité, sa logique échafaude par-dessus la structure singulière une conformité objective à la nécessité naturelle – l’inconscient est dialogique autant que l’est la nature et l’inconscient cognitif est ce qui donne sa forme à notre raisonnement conscient, verbalisé et logique (logique sémantique, à base de grammaire qui permet l’historicité, un rapport logique d’adéquation de ses états historiques observés avec la représentation du soi futur). Toutes nos sous-structures obéissent à la logique darwinienne de l’adaptation de l’individu à son environnement. Les structures supérieures sont exo-construites par le niveau noétique qui détermine un rapport au temps de façon consciente, donc en mode existentialiste pour l’essentiel. Par ma représentation de moi-même comme un autre dans un autre espace et un autre temps, je négocie mes actes au présent pour modifier les scénarios prévisibles dans cet autre espace-temps qu’est le futur. Le temps subjectif et le temps objectif, Bergson l’a montré, ne se rejoignent presque jamais car l’un est appréhendé par l’intelligence (le cortex orbito-frontal), l’autre par l’intuition (l’affect et le limbique). Mais on voit bien en quoi la logique du temps traverse l’homme par les formes mêmes, a priori, non pas de la sensibilité singulièrement, mais du dispositif cognitif général chez l’homme. Pour qu’il ek-siste ce temps qui me sépare de moi-même, il faut une aptitude à la re-présentation, typique de la faculté d’imagination humaine et de sa faculté dia-logique.

Le temps apparait ainsi comme une disposition subjective a priori, l’homme emprunte à la nature sa forme structurelle pour façonner son expérience. Elle peut cependant prendre les formes diverses de nos névroses puisqu’elle se fonde sur les engrammes neurologiques des aires cérébrales mais elle conserve toujours sa dimension logique, c’est son caractère universel. Le temps apparait ainsi à la fois comme ce qui rend la relation empirique au monde si intime et en même temps ce qui nous attache à la nécessité causale de la matrice naturelle. Dire « il y a le temps de » et « il y a le temps de », c’est opérer un découpage sémantique qui ne correspond pas à structure naturelle du temps : logique et singularisant à la fois, le vrai support de la subjectivité, ce par quoi l’être peut être autre chose que l’être à l’état d’être mais un étant.

On ne construit pas un concept à partir d’une hypostase

hypo-stase : posé dessous, comme su-jet, comme sub-stance, comme hypo-keimenon. Aucun concept ne tolère d’être construit sur une opinion, par définition. À moins de confondre concept et idée et partant de là mettre vrai et faux dans la même catégorie – symptôme du chaos intellectuel. Or, le temps d’Attali n’est rien d’autre qu’une hypostase issue de son système noétique, rempli de croyances, lui-même fortement inspiré de la doxa et ce n’est pas un hasard politique.

À partir du moment où l’on catégorise a priori le temps dans la section anthropomorphique au même niveau que les notions de début et de fin, on entre dans les contradictions typiques de celui qui cherche à définir l’infini, mesurer l’incommensurable et placer des bornes dans le vide. Par l’erreur de catégorisation le temps devient alors une hypostase inutilisable pour conduire un raisonnement logique : un terme que l’on pose comme un axiome pour tel ou tel raisonnement de circonstance mais qui ne peut être l’objet d’expérimentations scientifiques et qui a déjà échappé à l’épreuve épistémologique. C’est ainsi qu’un Attali peut aboutir à décrire le temps comme un catalogue de caractéristiques régionales, une petite chose de circonstance que l’on peut perdre ou gagner. Qui veut atteindre un niveau conceptuel sur un phénomène observable doit distinguer son cadre de travail de l’expérience subjective, faute de quoi la conclusion ne sera toujours qu’une opinion là où la problématique est pourtant scientifique ou philosophique. Il est clair que Attali, dès la première partie de son article, tombe dans tous les pièges de la pensée confuse (système 1 de Khaneman), celle qui n’établit pas le cadre de ses hypothèses, ne délimite pas son champ d’observations, utilise les acceptions communes des notions à la place de leurs concepts homonymes, et surtout celle qui – et c’est une faute logique – laisse filtrer une opinion grossière au coeur des hypothèses pour finalement ne chercher qu’à renforcer celle-ci – c’est le fameux « biais de confirmation ».

Le gauchiste invétéré cherche à duper grossièrement. Sous couvert de recherche objective de la vérité apparaît brutalement la posture socialiste radicale, la haine du capitalisme. Il s’en prend de façon arbitraire au capitalisme pour tomber plus bas que la pensée confuse : le dogme idéologique teinté de dualisme marxiste. Autant il est utile de parler du temps comme une personne à la façon du Chapelier de Caroll pour cerner la dimension subjective de l’appréhension objective par une structure commune – qui rappelle la pertinence du concept d’aperception transcendantale chez Kant au passage – autant parler du capitalisme comme s’il s’agissait d’une personne révèle une pensée empreinte d’un animisme ridicule. Comment partir du concept de temps pour taper sur le capitalisme ? Attali a une solution : faire du temps une chose et du capitalisme une personne ! Ce type de révolution Copernicienne peut être monnaie courante chez le fou, mais le simple sot cherche en général à s’en prémunir. Ici, on s’y enfonce. Ce n’est pas tout à fait conforme à qu’on appelle l’esprit des Lumières.

L’essence du capitalisme

La structure du temps subjectif dans le monde objectal transfère la valeur du but à l’objet pour mettre la nature au service de l’homme.

Très cher Jacques, faites le deuil de votre Léviathan :

Le capitalisme dont vous parlez, doté d’une volonté propre et de goût : « Le capitalisme déteste les repas, il adore les fast-food (…) », n’existe pas. Ce n’est pas une personne. Ni même une institution. Si le but est d’éclairer il faut cesser de dire n’importe quoi. Le capitalisme est la façon dont l’homme parvient à faire entrer le monde objectal dans l’univers singulier de ses représentations pour pouvoir échanger des valeurs symboliques avec ses pairs. Le capitalisme ajoute une structure formelle de qualification des valeurs symboliques : la propriété privée. Le capital est créé par des personnes qui coopèrent et pensent à partir d’un ensemble symbolique commun basé sur le concept de propriété privée (qui était qualifiée de « sacrée » dans les premières versions de notre Constitution).

La structure du temps qui nous lie au monde par la logique causale est sublimée par un existentialisme d’objet qui superpose du temps subjectif à l’éternité objectale (relative). Le capitalisme est ce par quoi un objet se transforme en capital. Le capital rend un objet fongible, il augmente son potentiel échangeable (ce n’est pas « maison contre argent » mais par exemple maison contre entreprise par le biais d’un emprunt sous hypothèque car je détiens un titre de propriété), il s’appelle capital, dans le sens « essentiel, fondamental, supérieur » parce qu’il vient de l’esprit : c’est la tête qui donne son essence à l’objet, tête essentielle pour libérer l’individu de l’aliénation du corps. C’est un instrument de sublimation de la volonté de puissance des gens créatifs.

Il est de nature démocratique : comme toute religion à succès, il est modérément exigeant, de sorte que la masse puisse en tirer des bénéfices dès les premiers niveaux – même s’il reste vrai qu’il reste difficilement accessible à ceux que le corps ou la tête empêche. Il nécessite parfois des explications méthodiques car il apparaît complexe à se représenter pour qui prend le fait de l’homme pour fait du monde – celui qui ne voit pas l’étendue subjective, la sublimation au sens freudien, dans les créations de notre civilisation.

Le capitalisme formalise aussi la représentation mentale d’un individu en le rattachant au système normalisé des représentations communes. C’est tout de même la seule structure noétique qui permette à un individu de créer une richesse fongible à ce niveau-là d’intersubjectivité : le moindre pot de terre, le moindre art, la moindre récolte permet d’obtenir un équivalent en services. La valeur de l’objet se fonde sur sa valeur symbolique : tout ce qui représente l’objet et qui n’est pas lui. L’organisation qui donne lieu à cette formalisation est propre au capitalisme et c’est elle qui autorise l’échange : je vise un objet, j’augmente ceux que je possède pour objectiver leur potentiel, je créé de la valeur quantifiable par-delà la valeur indécidable du substrat, de l’agrégat atomique et je fais de l’objet dans un espace-temps un but en réalisation, un rapport à soi qui va faire advenir un soi nouveau, un acte créatif d’auto-détermination, doté de nouvelles propriétés du fait de la valorisation de mes représentations sur le marché commun : c’est cela même, la Valeur. Chaque fois que je vise un nouvel espace-temps (c’est l’état permanent de tout homme), je le valorise et le capitalisme me permet de sublimer ce passe d’un ET à un autre. Le Capital-isme est la seule organisation éprouvée à grande échelle qui permette à l’individu de s’émanciper du temps objectif et de créer des valeurs échangeables grâce à des buts allégés de leurs déterminations matérielles. Je deviens propriétaire de mes projets, mon individualité génère de la valeur par différenciation et me donne accès à l’expertise des autres. Si on avait voulu inventer un système génial, nous aurions eu le plus grand mal à passer avec succès l’étape de conception : c’est aussi une réussite parce qu’il s’est initié à notre insu, ce sont nos structures mentales originelles qui sont à l’origine du capitalisme. C’est le récit qui a historiquement fonctionné mieux que n’importe quel autre en terme d’adoption, d’engagement, de taux de propagation et de simplicité axiomatique. À titre de comparaison, le modèle « top-down » extrêmement laborieux du matérialisme historique, le fantaisiste marxisme et sa version rose : le socialisme. L’organisation sociale la plus grossière qui aboutit dans sa version rouge à la famine, misère et violence. Entre les deux, le socialisme cynique des individus de mauvaise foi – le « vrai existentialisme » de gauche, forme altérée du capitalisme portée par des embourgeoisés faussement désolés pour la plèbe. Exemple : le micro-crédit qui s’établit sur le modèle : « Tiens mon petit, c’est mieux que rien, comme t’as rien et que j’ai tout c’est déjà bien si t’as un peu, mais je retiens une taxe sur le peu que tu auras c’est normal hein. Et je ne vais pas t’aider à implémenter un vrai système de propriété privée parce que ça risquerait de marcher pour toi et je perdrais ma superbe. » – ce capitalisme par perfusion qui ne s’étend jamais jusqu’à faire un État. Le vrai capitalisme, à la différence du micro-crédit, enrichit l’individu d’un titre de pleine propriété cessible et fongible.

Par ailleurs, l’organisation capitaliste de bonne foi vise à alléger les processus de valorisation de tels avoirs pour permettre à la personne d’aller au-delà de ce qu’elle possède, de s’enrichir, investir et capitaliser par paliers. Ce qui revient à augmenter la personne elle-même de nouvelles potentialités, étape par étape – c’est cela l’essence du temps pour-soi (qui oserait se prononcer sur le temps en-soi ?) : la sortie du nécessaire prédéterminé et la mise en oeuvre de potentialités contingentes ou du moins déterminées subjectivement.

Toutes les religions visent un « soi idéal » : le capitalisme propose de faire de soi-même un idéal par la réalisation de la meilleure version de soi à travers le travail, l’investissement, l’effort, la créativité et le partage. C’est l’émancipation du corps par l’esprit. C’est le temps de la liberté d’entreprendre, de considérer sa vie comme un projet dans le cadre communautaire. Chacun peut devenir mandataire social, c’est-à-dire non seulement porter la responsabilité de soi ou de sa famille mais étendre ses responsabilités aux autres membres du corps social par la création de valeur. Quelle base serait meilleure pour établir une cohésion sociale durable ? Une vraie différence entre les pays pauvres et les riches : c’est la qualité d’installation du capitalisme : oui ou non ? Ça veut dire quoi d’accuser le capitalisme quand on est confortablement installé dans un pays riche et pleinement bénéficiaire de ses avantages ?

Nos institutions, à travers nos titres de propriété privée, notre cadastre, nos contrats permettent aux objets inertes de mener une vie valorisée à l’échelle humaine en établissant les échanges sur une base qui inspire confiance. Tellement confiance que même le plus anti-capitaliste des programmes socialistes base toujours le bien-être des pauvres sur la redistribution des fruits du travail des… capitalistes. Les programmes qui osent se dispenser complètement du capitalisme appartiennent au siècle dernier et sont désormais catalogués dans la section propagande et agit-prop.

Et puis, que vaut-il mieux, installer une éthique arbitraire depuis une hauteur hiérarchique ou responsabilité chacun sur une base morale universelle ? avec la propriété privée vient la responsabilité individuelle. Si j’ai un titre, j’ai quelque chose à perdre, par mes avoirs je deviens un contribuable responsable, identifié et localisé. La morale du devoir vaut toujours mieux qu’une éthique régionale policée.

Le capitalisme consiste donc à créer du temps à la fois factice et fonctionnel. Le titre de propriété, ce miracle du capitalisme dans le cadre politique simplifié et le plus efficace de la Common Law, a permis à l’homme d’arracher les choses naturelles, y compris les qualités personnelles propres de chaque individu, de leur espace-temps pour les transposer sous forme de richesse échangeable. C’est le coup de génie le plus constructif de Sapiens durant l’holocène, après la religion. Critiquer le capitalisme, c’est soit vouloir porter un coup à la réussite des autres et exploiter la faiblesse par abus de pouvoir, soit crier sur les toits qu’on a rien compris aux principes qui président à l’émergence de l’ordre dans le chaos, ni non plus à ce qu’est l’essence du temps pour-soi. La valeur du capitalisme réside dans un existentialisme foncier. L’existence des objets précède l’essence au même titre que les hommes. L’homme fait advenir l’essence, et in fine la valeur, il applique sa temporalité aux choses et ainsi les sublime – c’est la base du commerce de marchandises.

Notre monde, par le capitalisme, devient celui de nos représentations communes et non la somme des objets et corps qu’on trouve dans un espace. Et il ramène les opérations du quotidien à une forme d’immanence réaliste qui ne freine pas l’action par quelque culpabilité d’être, contrairement à la seule religion. Le capitalisme est la moins aliénante des religions du point de vue de la transcendance. On place le monde non plus sous l’autorité exclusive d’une entité transcendante omnipotente mais dans la dimension temporelle intersubjective de ce que T. de Chardin a appelé la Noosphère. On donne aux objets de la nature, dont nous, un avenir « entre humains ». C’est une révolution culturelle qui limite les effets régionaux dévastateurs des grandes religions.

À l’échelle individuelle, chacun valorise l’avenir à partir de son historique propre, ce qui rend soi unique. C’est le rapport le plus fructueux à l’historicité qui caractérise notre construction mentale native et celle de la nature darwinienne : non seulement on vise à accomplir victorieusement tel Gilgamesh le périple de soi vers Soi, mais on – comme membre de l’espèce – doit trouver le meilleur scénario pour sortir vainqueur de la lutte à mort pour la survivance du plus adapté. Par le capitalisme, temps objectif et temps subjectif obéissent sans contradiction au principe du Logos, la logique causale qui impose toujours aux choses de devenirs autre chose qu’elles-mêmes tout en restant le plus longtemps possible identiques à elles-mêmes (l’identité dans le changement). À l’échelle collective, en se débarrassant du marxisme, on finit de sortir du matérialisme pour exceller comme super « machines à scripts », stars du storytelling, rois de la narration, en pleine maîtrise du Logos – la logique qui se dit, s’énonce, se verbalise, se justifie aussi. On peut enfin se raconter des histoires sans dieu ni nature menaçante, profiter d’une religion (religere) qui nous fasse lire le monde dans un langage commun. Il n’y a rien de plus logique que le capitalisme pour l’homme qui sait qu’il sait, l’homme de science et de conscience – Sapiens. Pour celui qui se contente de croire savoir en revanche, c’est une autre Histoire, la guerre perpétuelle, l’aléas permanent de celui qui se comporte en homme gauche, mal guidé par sa raison. Le socialisme est un tel malentendu, une telle compromission de l’avenir qu’il ne peut finalement être que le reflet d’un manque provisoire de raisonnement. Espérons que ce ne soit que la bêtise avant la prise de conscience.

Le siècle dernier a été une telle boucherie. On devrait pouvoir espérer avoir tiré les leçons et ne plus jamais laisser quelque forme d’anti-capitalisme se dire sans immédiatement être comprise et dénoncée comme pure folie.

Ça veut dire quoi être de gauche au 21è siècle ? vouloir tenter une nouvelle fois d’accélérer la fin des temps ? Ça veut dire quoi une posture anti-système quand on est le système ? la pulsion de mort incarnée ? Vraiment Jacques, si vous n’êtes plus en mesure de vous rejouer, de changer d’avis, il vaudrait tellement mieux vous taire. Nous ne devrions laisser personne concourir à recycler le siècle d’avant, c’est le pire rapport au temps imaginable.

Les ek-stases du temps telles qu’elles définissent les conditions a priori de notre cognition sont les mêmes qui servent à valoriser les objets et les échanger contre les services. Or ce sont ces échanges qui poussent les individus à eux-mêmes se différencier les uns des autres, valoriser telle ou telle expertise particulière. C’est ce que vous êtes Mr Attali : un corps devenu humain parce que votre idiosyncrasie est considérée par la communauté comme une richesse remarquable, compensable en droits d’auteurs et autres deniers. Niez-vous cela ? ce qui reviendrait à nous nier, nous, tous. Et, ce n’est pas de la mesquinerie mais du réalisme : c’est cette valeur capitaliste qui paie votre chauffeur, vos bureaux et l’appartement de votre femme (est-on d’accord que vous seriez ennuyé de devoir remplacer « votre » par un pronom impersonnel ?).

Cracher sur le capitalisme, c’est dire vouloir renoncer au Temps pour-soi : c’est vouloir mourir, tué par la nature. C’est le nihilisme typique des jouisseurs du confort moderne qui n’ont pas compris par quels procédés ce confort est advenu et totalement oublié que l’homme dans la nature est nu et fragile tels Adam ou son fils Caïn exposés à toutes sortes de dangers mortels. Nous n’avez pas compris la leçon du COVID ? un simple petit virus nous tuera en série si nous n’activons pas le grand Capital à l’échelle du monde. L’expérience commune réduite à sa forme la plus binaire : la vie ou la mort s’est superposée à le-capital-ou-la-nature. On a organisé une tuerie de masse de cet objet de la nature qu’est un virus. Et on l’a financée, recherchée et déployée grâce à l’organisation capitaliste de la santé. Et, en même temps, on a redouté un Ebola bis… ça aurait dû faire tilt dans la tête des anti.

Le temps ! monsieur Attali, c’est la structure du temps qui traverse les choses par la volonté des hommes et qui permet à des personnes comme vous de jouir d’une estime de soi, d’un environnement stable pour traverser le temps naturel accroché à sa flèche en toute confiance. C’est l’essence même du capitalisme que d’avoir permis à notre temporalité si finie d’exercer son pouvoir sur la finitude encore plus grande des objets inertes. La finitude de nos représentations dépasse celle de notre corps et les corps dans leur ensemble se retrouvent tous à l’état de potentiel, exposé à un temps enrichi, parce que la finitude de nos représentations est moins contrainte, moins déterminée que celle des objets.

L’ouest est riche de cette temporalité-là, qui sacrifie le Temps présent à la faveur d’une plus haute, digne, valorisée version de soi dans le futur. Freud décrivait-il fondamentalement un autre mécanisme naturel quand il parlait de la sublimation comme le sacrifice de l’énergie d’origine libidinale pour l’accomplissement d’actes socialement valorisés ? La religion ne vise t-elle pas à organiser des sacrifices pour la réalisation d’un soi transcendant ? Gilgamesh, Ulysse… toutes les icônes symboliques du stade anal qui ont cherché à vaincre la mort en sacrifiant leur présent, revenir en version augmentée d’elles-mêmes, décrivent-elles autre chose que la capitalisation sur le corps pour atteindre des valeurs supérieures ? l’archétype du Temps ne cesse de façonner notre rapport au monde et la meilleure version de cette conformité de Sapiens à ses buts procède du Capital.

Pour le -isme, on peut en parler, il faut en négocier les contours politiques afin que la main invisible ne soit pas celle du capitaine Crochet. Le social-isme sacrifie les 5% de Pareto : ce n’est pas une solution à l’incontinence potentielle d’un système humain. Il coupe la tête des élites. Jette l’opprobre sur celui qui a le projet de réussir. Tue l’entrepreneur. Vole le Capital et lui faire perdre ses potentialités. Le socialisme ruine les pauvres. C’est une idéologie parasite qui aime les caricatures et se nourrit des confusions populaires. Votre article en est l’illustration.

La géographie et l’histoire de l’anti-capitalisme socialiste : haine, pauvreté, massacres

L’Afrique meurt de cet anti-capitalisme d’état. Faute d’avoir pas pu faire le choix au milieu du siècle dernier de suivre l’occident dans sa méthode de valorisation du monde objectal,  coincée entre le radicalisme socialiste et l’oppression politique des sociétés modernes qui voulaient répandre leur méthode au-delà de leurs frontières d’origine. Et vous voulez nous ramener à la période pré-capitaliste, où tous les objets inertes constituaient des causes d’affrontements sociaux incessants ? ou pire, nous amener à une société où le capital est retiré des mains de ceux qui détiennent les titres pour les confier à des oligarques socialistes ? C’est quoi votre projet pour la France ? un mélange d’Arabie Saoudite et de Russie ?

La guerre froide est issue de l’opposition extrêmement stérile entre capitalisme et socialisme. L’un a engendré un recul spectaculaire de la misère, l’autre a provoqué la mort de dizaines de millions de personnes, souvent par meurtre. Avouez-le nous : vous êtes dans quel camp finalement ?

Si vous compreniez le rapport structurel du sujet au temps, c’est-à-dire le mouvement de l’individu vers ses buts au niveau du substrat, vous verriez que le capitalisme d’état non seulement permet à l’individu d’échapper à la dictature du présent mais aussi à l’appréhension non structurée des objets par le noétique dans une société non capitaliste. Le capitaliste voit une maison : son idée de la maison est portée par le groupe des capitalistes, il sait qu’il peut la louer, la mettre en caution, la rénover ou la revendre avec une plus-value et vivre de la valeur ajoutée par le corps physique. Le design de sa structure mentale vis-à-vis de l’objet est formée par le système capitaliste au niveau institutionnel. Celui qui navigue sans ce cadre mental extrêmement hiérarchisé dispose des mêmes facultés mentales évidemment, mais il lui manque la structure non seulement au niveau de l’état, mais au niveau de sa conception mentale. Il peut y voir l’apparition des esprits, s’attacher à l’âme des morts sous les plafonds, décréter qu’un étage n’est plus habitable parce qu’un fantôme l’habite : l’absence de structure noétique capitaliste favorise inévitablement le maintien d’une forme de superstition et de rapport animiste aux corps matériels. Je ne vois pas comment on peut mieux que ça mettre tout un peuple en situation de minorité pour le privilège d’une oligarchie ou d’un tyran. Le besoin de doubler la perception objectale par son équivalent symbolique est le même au niveau du substrat que chez l’occidental. Une conséquence de l’absence de capitalisme consiste aussi en une grande difficulté à lier les univers symboliques individuels sur une base commune, facile à valoriser et échanger. Lorsque le communiste demande à l’occidental : et comment faites-vous pour rationner le pain ? le capitaliste lui répond qu’il n’y a pas de rationnement, que la demande vient naturellement combler l’offre et laisse le communiste pantois. L’absence de structure capitaliste dans l’esprit socialiste le plus pur se manifeste par une incompréhension de la dynamique d’adaptation de l’offre à la demande. Sans capitalisme, comment répondez-vous à la demande sans tomber dans le fascisme ? personne n’a réussi jusqu’à aujourd’hui, seriez-vous le premier à pouvoir retirer le capitalisme d’un esprit sans tuer l’individu ? L’histoire nous montre assez que cette utopie consiste essentiellement en la précipitation massive vers le chaos. Vous n’avez jamais pu fonder votre jugement anti-capitaliste sur la moindre illustration historique, vous restez bloqué comme tous les socialistes dans une posture anti. Sans objet. Sans projet. Sauf celui de la fin de l’individu. Comprenez-vous que cette position est choquante ?

Vous portez la responsabilité des 40 ans de déclin de la politique publique, à base d’anti-capitalisme.

Lorsque vous diffusez publiquement des arguments faciles à avaler pour critiquer l’institution que nous habitons, vous contribuez fortement à créer du chaos. Le socialisme crée du chaos. Votre gauchisme radical et systématique est chaotique parce qu’il favorise l’installation dans les esprits malheureux de l’idée que c’est la faute des autres. Ce qui revient à dire une chose fausse qui consiste à dire que l’individualisme est si détestable qu’il faut renoncer à la responsabilité de chacun au nom de la « société ». Votre socialisme est devenu un corpus de croyances utopiques qui renforce la frustration des personnes faibles en leur laissant penser qu’ils sont du bon côté de l’humanité. Comme les religieux malades, vous participez à ce schisme grave qui sépare l’individu de la société. Sans, évidemment, offrir de solution alternative à ces personnes à part la haine de l’altérité, ce qui est précisément ce qui les enfonce dans leur minorité intellectuelle et leur fragilité sociale.

Je ne parle même pas de la commission confiée par Sarkozy qui vous a complètement échappée, votre programme de gauche qui tombe entre les mains d’un homme de droite, ça a des conséquences. Cela pourrait bien aboutir à la haine de l’autre au coeur du programme présidentiel 2027.

Vous n’avez pas la légitimité de votre autorité

Vous n’avez par ailleurs aucune légitimité à représenter les anti-capitalistes dans la mesure où vous êtes l’un des principaux bénéficiaires de l’ultra-capitalisme, celui de la Planète Finance qui tire partie de la pauvreté du tiers monde. On vous a laissé faire pendant plus de 40 ans parce que la stérilité des individus sert le socialisme, mais votre victoire à la Pyrrhus ne fera pas postérité. La jeunesse d’aujourd’hui ouvre les yeux sur les pompiers pyromanes d’élite et vous trouve au coeur de l’histoire.

Partir d’une question scientifique et philosophique pour descendre sous le niveau religieux et nous enfoncer dans l’animisme fétichiste néo-marxiste : quel sens cela fait-il pour vous ?

Vous n’avez pas cherché à comprendre ce qu’est le capitalisme. Vous en arrivez à le confondre avec le libéralisme. Et cela vous amène à marquer des buts contre votre camp.

La façon dont le temps objective l’homme en prenant appui sur sa subjectivité fait potentiellement de chaque homme un être raisonnable. Car celui qui parvient à conformer le temps subjectif au temps objectif sait mourir : c’est ainsi que Nietzsche décrit le scientifique. Et c’est peut-être au fond ce que vous essayez de faire lorsque vous dérivez du temps vers le capitalisme : rendre compte de nos créations à partir d’un rapport considéré comme biaisé au temps, trop subjectif, pas assez orienté vers l’universel.

Si c’était votre intention, elle est sans doute louable même si elle est manifestement mise en échec. Et surtout, il semble que votre propre structure noétique contienne des croyances toxiques qui bloquent vos tentatives d’analyse. À partir du moment où vous adoptez une orientation politique radicalisée vers la gauche, vos convictions sont déterminées affectivement par le fait que changer de point de vue reviendrait pour vous à souffrir d’un collapsus noétique (Cf Pouivet sur la notion de Sujet).

Mon avis est que votre article démontre que vous n’avez jamais parlé au Temps. Jamais interrogé le petit Attali de 2 ans et demi à la sortie de son âge d’or qui correspond aussi à l’entrée dans le Logos, la logique des mots. Votre Temps, si par vos représentations vous voyagez jusqu’à vous dans ses différentes ek-stases, vous apprendra ce qu’il est vraiment : l’objectif universel qui exploite le particulier singulier pour sortir de l’être (Heidegger, le dasein et l’Étant). Votre étant à vous est éminemment politique, il n’engage pas que vous. Votre étant, votre temps particulier, sert de vecteur à une idéologie stupide et mortelle basée sur la bêtise authentique – ce qui n’est que bête en nous. Je la considère comme nocive et pernicieuse. 40 ans d’influence socialiste sur notre système capitaliste aura fini par le déformer, le dénaturer, l’empêcher jusqu’à vous permettre de le désigner comme coupable. Quelle supercherie, quel renversement.

Si dieu cherchait à mourir, il créerait du temps parce que c’est la seule façon pour lui de sortir de son infinitude. Mais il semble plus adéquat d’observer que l’individu est l’agent par lequel l’objectif peut se déployer (et pas uniquement chez l’individu humain). L’individu, cette indivision particulière qui marque une forme dans un espace-temps donné et qui ne se reproduira jamais à l’identique, est ce par quoi le temps advient. C’est ce qui nous lie le mieux au monde et met l’homme au même niveau que n’importe quel caillou ou n’importe quelle planète : une chose particulière, une séquence absolument finie d’espace-temps.

Cui bono?

Qui est la cible de vos messages ? l’instruit ou l’idiot ? qui sacrifie la conversation de repas pour le fast-food ? est-ce que la responsabilité de ce sacrifice est réellement imputable au capitalisme ou à l’individu et son groupe ? Qu’est-ce qui vous fonde à placer la cause au niveau systémique plutôt qu’au niveau subjectif si ce n’est justement une erreur de jugement sur ce que ce sont les concepts comme le temps ? Vous allez souvent au fast-food vous ? vous sacrifiez tout au capitalisme ? si ce n’est pas le cas, pourquoi est-ce que le capitalisme ne prend pas sur vous et qu’il menace bien davantage votre auditoire ? est-ce vraiment logique de ne pas pouvoir inclure votre propre expérience dans le système que vous décrivez ? y t-il une attitude moins sérieuse, moins méthodique, moins biaisée que de décrire un système qu’on ne parvient pas à expérimenter soi-même et dont l’expérience subjective tendrait plutôt à montrer le contraire ? Qu’est-ce qui fait que vous pouvez tranquillement prendre le temps d’écrire des articles avec un ordinateur, si ce n’est le capitalisme ? n’est-ce pas par lui que vos paroles peuvent aussi s’exprimer librement plutôt que sous le régime dictatorial d’un pays socialiste radicalisé ? Dans les pays communistes, l’individu n’a pas le droit de critiquer le communisme. Dans les pays capitalistes et surtout les plus libéraux, la liberté d’expression protège l’individu. Vous exploitez le privilège de la vie capitaliste pour trahir votre propre monde. Vous cherchez à briser les fondements d’un monde fonctionnel au profit d’une idéologie dont on sait avec certitude qu’elle tue en masse. La question que je me pose, c’est la nature de votre temps singulier. Je pense qu’on doit pouvoir décrire votre emploi du temps de la même façon qu’on peut décrire celui d’un parasite : il vit sur la bête, à l’insu de la bête et les ressources de la bête sont réorientées pour alimenter le parasite qui n’a finalement d’autre objectif que de mourir avec la bête après avoir fini d’en épuiser les ressources. Pour moi, c’est cela le socialisme et c’est aussi cela qui fait de vous un authentique camarade. Le monde soviétique qui cherche à renaître de ses cendres veut nous donner des leçons qui ressemblent beaucoup aux vôtres. Beaucoup d’entre nous croyaient ce temps révolu mais aussi longtemps que des pseudo-intellectuels continueront à alimenter le parasite du capitalisme, qui n’est pas le capitalisme lui-même mais ceux qui sont tellement habitués à en tirer profit qu’ils se permettent de lui nuire pour voir si un autre monde pourrait advenir.
Vous ne cessez de mettre le monde en alerte sur ceci, sur cela, ici comme là-bas mais je me demande s’il ne faudrait pas commencer par regarder celui qui donne l’alerte, voir si ce n’est pas lui le vrai danger. Le temps n’est pas une illusion, contrairement à la suggestion de votre titre. En revanche je vois qu’un illusionniste qui parle du temps dit de lui qu’il est une illusion et c’est un élément de confirmation quant à mes soupçons vous concernant. L’alertisme systématique de Mr Attali est une mascarade de nature politique qui cherche à cacher un profond intérêt, bien réel et concret lui, pour les produits capitalistes : la belle voiture, le chauffeur, le bel appartement à Neuilly-sur-Seine, les beaux bureaux en plein Paris, les voyages payés par les méchants capitalistes… Si vous le critiquez tant, comme le font les socialistes comme Mélenchon, c’est pour mieux faire oublier que vous en êtes les premiers bénéficiaires. Le monde des parasites humains a sa dialectique, ses codes, ses repères idéologiques qu’on peut synthétiser par le mot Socialisme. Ceux qui hurlent au loup au petit déjeuner tous les matins pour transir la plèbe, tout en sirotant leur petit café servi par un plébéien. Les gens odieux vivent bien dans le monde capitaliste, n’est-ce pas ? c’est sans doute pour ça qu’ils y restent malgré leurs critiques répétitives. Au fait, quelle est la définition de l’imposture déjà ?

Vous êtes celui qui n’a rien compris aux concepts de temps et de capital mais s’en fait une expertise quand même : Attali est un ultracrépidarien, un Merlin qui n’enchante plus personne depuis longtemps.

Une petite trêve tout de même dans l’accusation : comme chaque individu, Attali vit au-dessus d’un précipice dont rien ne le protège mieux que l’illusion de pouvoir et de postérité. Quand on est fragile comme un homme, il est naturel d’utiliser toute méthode efficace pour calmer la douleur. Quitte à trahir sa communauté, quitte à trahir l’espèce. Comme disait Hume : « Il n’est pas contraire à la raison de préférer la destruction du monde entier à l’égratignure de mon doigt ». C’est toute la logique d’un Attali, toute la logique du socialisme, qui finalement n’a aucune idée de la souffrance qui produit l’envie de socialisme. Tant mieux pour eux, les socialistes politisés jouissent du capitalisme au point de n’avoir plus la moindre idée de la douleur de n’avoir rien et d’être exposé à la faiblesse du naturé face au naturant. Il y a sans doute une forme de compassion intuitive du privilégié pour le faible chez Attali.

Surtout si la mise en alerte perpétuelle de la plèbe sert de gagne-pain, la boucle est bouclée, le chaos advient parce qu’on a pas assez écouté celui qui nous avait prévenu ! Il voit l’avenir mieux que personne Attali, puisqu’il y prédit que tout est possible et que le pire est certain, si on ne lui donne pas une place centrale, à lui le devin.

Incitation à la guerre civile

Pardi ! bien-sûr que pour qui vit de prophéties, ce qui fonctionne est une menace et le temps un fonds de commerce. Ces prophéties constituent un produit commercial parmi d’autres, mais y inclure une attaque du capitalisme alors que c’est lui qui fait de vos prophéties votre principal capital, c’est le cynisme parfait. Vous vous moquez du monde, Monsieur Attali, en flagrant délit.

J’ai bien conscience qu’il est trop tard pour vous réviser entièrement, projeter un soi nouveau qui nous parlerait des bienfaits du capitalisme et des progrès vertigineux que nous accomplissons collectivement tous les jours. Vous n’êtes pas Harari, loin s’en faut. Mais pourquoi ne pas introduire une forme de sagesse maintenant ? montrer que le déclinisme et le catastrophisme constituent, avec du recul, une forme de nausée que l’on peut éviter pour renforcer notre « positive planète » qu’est le capitalisme libéral, non pas parce qu’on aura suivi vos incantations stériles, mais parce qu’on sait que lorsque le pire arrive, il nous reste toujours la possibilité de la transcendance capitaliste, la création de valeur par-delà le réel, la sublimation de l’individu fini en acteur du monde pour-soi. Surtout aujourd’hui, où votre haine du capitalisme fait écho à celle de l’assaillant Poutine. L’ouest a réussi des choses fondamentales comme le recul drastique de la mortalité infantile, c’est aussi le lieu où la pauvreté a le plus reculé. Vous offrez aujourd’hui à Poutine une continuité de propagande jusqu’au coeur de la France : allez-vous pousser plus loin encore votre cynisme jusqu’à nous faire basculer de nouveau dans l’autoritarisme socialiste, déplacer dans des camps ceux qui ont trop capitalisé ? Et accompagner cette vieille idéologie de haine de l’individu au coeur même de l’Europe ? Si un jour vos actes se mettaient à suivre vos opinions, vous seriez du côté de l’assaillant tyrannique. Ou alors du côté du plus offrant comme aujourd’hui. C’est indécidable mais quelle que soit l’alternative, elle me semble tragique en ce qui vous concerne, si vous ne vous révisez pas radicalement.

On ne se rendra compte à quel point l’anti-capitalisme est un poison que lorsqu’on aura sacrifié le capitalisme à un dogme ou un autre : ici religieux, là socialiste. À ce moment-là les individus en masse, s’ils se réveillent, regretteront qu’on les ait privés de leur fabuleux Capital. Ceux-là verront en les Attila et autres Mélenchonistes ceux qui les ont vendus au diable. S’il devait y avoir un jugement dernier dans cette guerre civile (l’ouest contre l’ouest, l’une capitaliste, l’autre anti) que vous aurez finalement attisé toute votre vie, très cher Jacques, nous ne donnerons peut-être plus si cher de votre peau. Là, votre temps sera venu. Et il nous appartiendra d’en juger.


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