Les gauchistes (et leur ingratitude)

Jacques Attali vient encore de publier un article de type « Une immense crise financière menace ». Le même jour, un journaliste de Reporterre titre : « Taxer les ultrariches, l’idée qui fait son chemin ». Attali critique « la procrastination générale » à réviser totalement la « pratique de la propriété » privée, Reporterre réduit l’origine de la pollution atmosphérique au « besoin d’ostentation » des riches. Comment dire ? En fait non : la cause du mal n’est ni la propriété privée, ni l’envie de l’exhiber. Le problème provient plus probablement de celui qui annonce la catastrophe tous les matins, le gauchiste, le représentant politique de l’ingratitude.

Si Attali ou le journaliste de Reporterre se retrouvaient quelques décennies auparavant à devoir inventer et installer notre réseau électrique, notre réseau d’eau courante et d’assainissement, notre réseau internet, le four micro-onde, le frigo ou même la brosse à dents dont ils se servent quotidiennement, ils n’en auraient pas la compétence. Ils exploitent à chaque instant un univers culturel et technologique dont ils ont hérité, qu’ils n’ont même pas contribué à créer mais qu’ils attaquent sans relâche. Ils observent leur monde avec condescendance, un doigt pointé sur tout ce qui n’est pas encore assez bien à leur goût, un autre vers une élite aux responsabilités, sans toutefois parvenir à préciser un plan alternatif plus « positif ». Taxer les riches, limiter la propriété privée, comprenez se contracter, se rabougrir, régresser, vivre bien dans la culpabilité ou vivre mal avec la rage. Est-ce que c’est une proposition de valeur ou une dévalorisation agressive de tout ?

La démonstration de socialisme à laquelle ils se livrent interpelle à dessein « l’homme sans qualités » (Musil). Ils critiquent l’individualisme parce qu’ils considèrent la société comme une donnée première qui prime sur l’individu. S’ils préfèrent placer et valoriser un mécanisme de régulation bureaucratique au-dessus de la personne humaine, ne serait-ce pas pour dissimuler une misanthropie inavouable ? Avec l’idée, empruntée à Marx avec un sens critique pour l’occasion tout en retenue, que la réalité sociale émerge depuis des forces historiques décrites de façon matérialiste : si une personne souffre de son existence, la cause vient nécessairement de la volonté d’un autre. Ce reste d’animisme qui consiste à déceler de l’intention dans le phénomène, de la volonté dans le mécanisme, sert à rendre compte de phénomènes comme le changement climatique ou la crise financière comme s’il s’agissait d’histoires individuelles. Transformer le réel objectif, la complexité émergente des phénomènes naturels par exemple, en narration subjective, en petites histoires de personnes. La falsification présente une caractéristique politique intéressante, comme une morale à la fin d’une fable : les nuages dans le ciel sont produits par des personnes très puissantes et malveillantes, toute personne qui souffre doit pouvoir tenir un tiers pour responsable de sa peine. La justice intuitive coupée en deux parts inégales : le devoir du côté de celui qui entreprend, le droit du côté de celui qui souffre. Le social-isme : encenser le faible et vilipender celui qui réussit, à l’exception de l’égocentrique qui réussit en dépouillant les riches. L’idéologie politique idéale pour les esprits malades de postmodernisme, la philosophie de l’ingratitude.

Et si la souffrance venait plutôt de cette ingratitude dégénérée en pseudo-compassion qui consiste à ne plus savoir et ne pas vouloir mesurer la valeur de notre héritage, à ne considérer que les imperfections pour créer des coupables et inventer des idoles de substitution ? Quelle est la légitimité à décrire le réel comme un enfer organisé par l’élite de la part d’une personne qui dispose de l’eau courante, de l’électricité, de moyens très sophistiqués de transport et de communication, de tout le confort technologique et d’une liberté de mouvement sans précédent historique ? Combien doit-on à tous nos ancêtres et toutes ces personnes qui participent à la transformation du monde pour nous apporter toutes ces commodités ? Une empreinte carbone ne correspond t-elle pas d’abord à une quantité d’activité ? Est-ce que l’énergie décrite comme un gaspillage ou une ostentation ne serait pas mieux décrite comme une énergie investie ? La richesse que ces détenteurs du « capital » produisent n’est-elle pas précisément celle qui permet de maintenir un système social extrêmement généreux envers les moins compétents ?

Bien-sûr, jouer à penser comme un Robin des Bois qui propose tout simplement la préemption de la richesse du riche accompagnée d’une claque et la redistribution au pauvre accompagnée d’une caresse permet de se situer d’office du bon côté de l’intuition morale. Mais la morale intuitive n’offre au pauvre que la frustration sous perfusion, car réduire la richesse n’enrichit personne (considérons cela comme une prémisse logique). Ce qu’il lui faut, à celui qui considère que son bien-être n’est pas assez valorisé, c’est la connaissance et la connaissance de la valeur de l’eau courante, de l’électricité, de la réfrigération et de l’hygiène (entre milliers d’avantages hérités pour lesquels il n’a pas eu à bouger le petit doigt, dès sa naissance). Ce savoir stratégique ne se trouve nullement chez Attali ou Reporterre, qui se comportent en quelque sorte comme les idoles des utilisateurs capricieux d’un monde mal conçu. Chez l’humain, la conception précède la perception, le défaut de conception se trouve dans l’oeil de celui qui perçoit (référence à l’Évangile selon Matthieu, chap 7, v3 et Jordan B Peterson sur la perception). Le savoir stratégique se trouve du côté des accusés. Dans ce tribunal de l’intuition, les accusateurs pourraient bien se révéler comme les vrais imposteurs de l’histoire.

Le bon remède consiste à devenir un sujet. C’est-à-dire s’approprier par le savoir et l’action les relations causales qui produisent le réel. Devenir l’auteur véritable de ses verbes par le savoir et le savoir-faire, en un mot : la compétence. Le mauvais remède consiste à reprocher à l’acteur d’agir. Celui qui voyage en jet privé ou en yacht dévoile avant tout la capacité systémique du capitalisme à récompenser une compétence exceptionnelle, un savoir rare digne de volonté. Un projet politique valide ne peut consister à dévaloriser les plus compétents. Il s’agirait plus idéalement de mieux partager la connaissance qui aboutit à l’extrême compétence. Celui qui propose de s’en prendre directement aux intérêts de celui qui réussit, au nom de la morale ou de la vertu, falsifie grossièrement ce qui peut être décrit de la complexité sociale. Cette espèce de fausse compassion du gauchiste (« narcissistic compassion » dit Peterson) qui fait croire au pauvre ou au faible qu’il est de son côté pour affaiblir le riche ou le fort ne dit pas la vérité sur l’intérêt de cette falsification. La gauchisme supprime l’individu responsable et dévalue toute richesse, à l’exception de celui qui la préempte. Celui qui participe à la frustration et à la colère dévalue le corps social dans sa somme. Celui qui se déplace en jet ou accumule des propriétés privées dispose d’informations stratégiques qui permettraient aux plus pauvres de sortir plus rapidement de leur condition qu’avec le pessimisme mercantile d’un Attali (le déclinisme est devenu un business valorisant pour lui seul, il trouve apparemment un fort profit dans l’annonce perpétuelle du déclin) ou la mesquinerie d’un journaliste d’extrême gauche (qui s’imagine sans doute énoncer une thèse politique profonde et originale en confirmant son intérêt pour une énième augmentation des taxes).

Le gauchisme correspond vraisemblablement à un état historique de la conscience humaine inscrite dans la condition native de la cognition, à savoir l’intuition. L’extrême gauche manifesterait ainsi une sorte d’antithèse politique et historique du « savoir absolu » (je fais référence ici à la Phénoménologie de l’Esprit de Hegel, le seul matérialisme historique qui me semble parfaitement conceptuel), un gel paradoxal de la conscience malgré la progression de la conscience dans l’histoire, une sorte de « système 1/2 » séquentiel à l’échelle historique (référence à Kahneman). Le gauchisme correspond à l’évidence à une intuition morale valorisante pour l’appareil cognitif qui n’a pas trouvé d’autre solution, pour valoriser une anti-idole, que de critiquer celui qui a réussi à devenir une version idéale de soi. Il est probablement réductible à une décadence de l’esprit faible qui ne dispose pas d’un plan d’action pour permettre à ceux qui souffrent de placer l’existence dans les pas de ceux qui en jouissent. Expliquer à une personne que sa souffrance trouve son origine dans une autre personne qu’elle-même ne procède pas d’un exercice de logique rigoureux et ni non plus d’un exercice de sincérité. Le riche et sa propriété privée ne sauraient spécifiquement être tenus pour les grands responsables du réchauffement climatique ou de la crise financière. Si toute personne disposait en propre de la compétence de Bernard Arnaud, Elon Musk ou François-Henri Pinault, la recherche pour la lutte contre le réchauffement climatique trouverait davantage de financements et d’esprits compétents et la probabilité d’une crise financière de grande ampleur serait nettement réduite puisqu’il ne resterait que des acteurs compétents et pleinement responsables. En revanche, si le 1% décrié, les élites mondiales, devaient subitement subir une ablation noétique pour se retrouver en situation de dépendance à l’état, l’ensemble de la population mondiale vivrait sous la menace d’un crash imminent, comme un avion privé d’ailes. Voici une deuxième prémisse logique : l’incompétence et l’ignorance ne sont pas des vertus. Écrire des articles qui diffusent la rancoeur en prétendant rendre justice à ceux qui souffrent relève franchement de l’aberration politique et parfaitement de la contradiction logique. Heureusement, durant le siècle présent, l’extrême gauche n’est pas encore totalement parvenue à revenir régir l’histoire. Mais elle s’insinue désormais dans tous les débats publics, en particulier en France. Il est évident que cette petite chanson de l’ingratitude et du « virtu signaling » contribuent fortement à la montée du gauchisme dans la pratique politique commune. Les plus graves victimes resteront toujours ceux qui écoutent les chants des oiseaux de mauvaise augure.


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