« En quoi l’Ukraine est-elle la faute de l’occident ? »

L’analyse prospective du professeur John J. Mearsheimer en 2015 nous permet, avec un recul de sept années, de sortir de la propagande occidentale selon laquelle Poutine serait devenu agressif suite à une crise de nostalgie impérialiste. Ce sont les standards occidentaux qui s’étendent vers l’est et non l’inverse, ce sont nos armes qui approchent de la frontière russe et non l’inverse. C’est une forme d’autisme politique des occidentaux qui met Poutine au pied du mur : comment expliquer à sa population que l’OTAN et l’Union Européenne s’étendent désormais jusqu’aux frontières du pays sans avouer en même temps son impuissance à limiter le déclin de la Russie ? Nous ne proposons à Poutine que des injonctions contradictoires : « sois gentil et soumets-toi à notre modèle ».

Faire de Poutine le seul responsable de la boucherie en Ukraine revient à nier notre volonté d’étendre l’hégémonie de l’occident vers l’est : notre économie capitaliste libérale, notre modèle démocratique, notre religion laïco-judéo-chrétienne, notre déclin démographique et nos frontières poreuses. Tout ce que les états autocratiques exècrent. Notre propre propagande à l’ouest tend à rendre aveugles aussi bien nos dirigeants politiques que les médias, les deux ne témoignant que d’une faculté critique faible puisque c’est toujours une seule et même version de la réalité qui est dépeinte. Jamais il n’existe de tentative publique de questionnement à l’échelle universelle. Nous sommes au moins aussi malades que Poutine sur le front de l’idéologie, nos peuples ne sont pas très loin de la forme d’acrasie russe qui consiste à savoir qu’il faudrait faire autrement mais se taire, laisser dire, laisser faire jusqu’à ce qu’on reçoive une bombe nucléaire sur la tête.

Enfin, quelle ironie, comme si la France était le pays le plus capitaliste au monde, nous suivons le modèle des sanctions économiques en espérant que cela suffise à désarmer Poutine. Nous utilisons le capitalisme (que nous n’avons même pas encore bien compris en occident, y compris en France) comme une arme et nous étonnons que l’adversaire, créé de toutes pièces, utilise ses propres ressources comme instrument de négociation.

Cette vidéo a été publiée le 25 septembre 2015, elle comptabilise près de 30 millions de vues :

On peut noter la cohérence du fait que la Russie n’étant pas une démocratie, on ne distingue pas entre le peuple russe et Poutine. La volonté et la stratégie de Poutine sont ici décrites comme celles de la nation russe entière, prenant pour acquise l’inanité du peuple russe. Selon le Professeur Mearsheimer, il semble falloir se résigner à cohabiter avec les autocraties, d’autant plus que le cas de la Russie est faible comparé à ce qui nous attend avec la Chine. Le grand mérite de son exposé est de nous déplacer dans la logique poutinienne, en nous invitant à penser comme un homme du 19è siècle plutôt que d’insister éternellement dans la fausse naïveté du dirigeant du 21è siècle qui semble ne pas vouloir admettre qu’il participe lui aussi à la logique de guerre territoriale. Et un élément clé ressort : pourquoi à ce point vouloir offrir l’article 5 à l’Ukraine alors que ce n’est pas un état stratégique pour l’occident, du moins pour les États-Unis ? alors que le risque est la guerre totale. Si les Ukrainiens se sentaient à ce point Européens, ils avaient tout loisir de venir travailler et vivre en Europe.

Il y a en Europe un déficit d’intelligence politique. À chercher le consensus à au moins 27, on en arrive à subir le paradigme de Asch : 9 imbéciles disent une ânerie et le 10è se sent obligé d’adhérer.

Notre modèle est relativement fonctionnel mais il faut qu’on se le dise : il n’est pas le seul. Les autocraties et les régimes militaires qui ont d’importantes ressources naturelles parviennent à survivre sans la religion du libéralisme ou du démocratisme. On a tous voulu partager l’enthousiasme de Fukuyama mais aujourd’hui il faut gagner en maturité et admettre que nous avons des voisins qui ne pensent pas comme nous et que notre arrogance est bien une provocation. Si le peuple russe assumait son goût du libéralisme en l’imposant à son souverain, ce qu’il peut toujours faire, tout serait différent. Mais il reste inerte. Et ici, il faut bien admettre que nous, peuple européen, aussi.

« Plus personne aujourd’hui ne comprend les décisions de la Russie. »

Emmanuel Macron, 23 septembre 2022

On voudrait humilier la Russie, on ne s’y prendrait pas mieux. On voudrait faire prendre un risque majeur aux français d’en faire la cible n°1 d’un missile nucléaire, on s’y prendrait exactement de cette façon : jouer l’ami, appeler souvent puis trahir, accuser, nier, ridiculiser et s’assurer d’une coalition générale contre l’ami d’hier au profit d’une Ukraine dont la moitié des habitants parle russe. 30 ans de progrès russes anéantis par notre crise d’arrogance. On intègre nos économies respectives et en même temps on déplace nos armées pour encercler nos partenaires : peut-on avoir une explication rationnelle de ces choix politiques ?

Le radicalisme existentialiste ne cesse depuis cinquante ans de nous priver de considérer le substrat et les faits – comme si, par exemple, l’identité du territoire Ukrainien n’avait aucune influence sur celle du peuple qui l’habite – nous projetant sans cadre dans l’infini de nos représentations. Nous partons du principe entièrement idéel de la souveraineté du peuple et nous privons de l’information naturelle. Nous faisons semblant d’occulter le fait que l’Ukraine est devenue un tel producteur de gaz que cela court-circuite le modèle économique russe, nous faisons semblant de ne pas savoir que l’Ukraine est davantage liée historiquement à la Russie plutôt qu’à l’Europe ou les États-Unis, nous feignons de ne pas servir de porte-drapeau aux américains, nous faisons semblant d’oublier l’histoire récente de la Russie et ses innombrables humiliations. Entre parenthèses, le peuple Russe continue de payer très cher d’avoir pris Marx au pied de la lettre, c’est une vraie leçon de l’histoire; ce serait bien que les gauchistes occidentaux comprennent bien le vrai matérialisme historique à partir des faits non des idées : la tentation socialiste n’a cessé de broyer le peuple russe depuis 150 ans. Enfin, on fait semblant de maitriser un voyou qui a réalisé le casse du millénaire et s’est emparé de l’atome sans jamais demander son avis à un peuple qui, en toute vraisemblance, dirait non à la question : « acceptez-vous que nous prenions des décisions qui augmentent le risque nucléaire ? ».

Je suis manifestement l’idiot du village, parce que pour moi il est plus facile de comprendre Poutine que le Président Macron. N’est-ce pas plutôt l’occident qui souffre d’une crise aigüe d’impérialisme ? Nous incorporons toujours plus de territoires sous un même régime économique, politique et militaire (OTAN + EU). N’est-ce pas notre président qui complote dans le dos de son ami Poutine pour l’isoler (et accessoirement profiter des ressources Ukrainiennes) ? Ce n’est que le jour où notre modèle aura été sophistiqué et poli par le temps que nos descendants s’apercevront de notre outrecuidance actuelle. Nous, si certains d’avoir tout compris, tout vu, tout conquis alors qu’en réalité nous vivons dans un épais brouillard politique et que la grande majorité des individus, personnalités politiques y compris, n’ont qu’une compréhension très limitée du système qui les fait vivre. Nous sommes plus semblables à nos voisins que nos oppositions radicales veulent bien laisser voir. La France est tombée dans la posture, l’action de principe, l’idéo-logie, en ayant perdu beaucoup de son sens critique (ce qui signifie en premier lieu auto-critique). Notre suffisance nous expose plus que jamais à notre propre fin, tel Narcisse.

Culte de la personnalité

Toute l’attention médiatique et politique en occident est focalisée sur la personne de Vladimir Poutine, sans pause ni recul. Jamais la perspective n’est prise au sérieux qu’un autre à son poste ferait la même chose pour les mêmes raisons. Comme si l’idiosyncrasie poutinienne suffisait à tout expliquer de la situation. Ce simplisme est un sévère réductionnisme, réduction à un avatar, comme si le peuple russe n’avait par définition aucune souveraineté, aucune responsabilité, comme si la situation géographique de la Russie ne représentait aucune circonstance significative, comme si nous-mêmes, peuple d’occident, supporterions de voir arriver à nos frontières une organisation internationale de défense armée. Je ne cesse de m’étonner qu’on prenne un risque d’anéantissement nucléaire en focalisant notre réflexion sur une personne alors qu’il s’agit d’un cas manifeste d’impérialisme que d’étendre l’OTAN hors des frontières de l’union EU-EU malgré les avertissements légitimes de nos voisins. Je ne peux pas me satisfaire d’un Président et d’un Premier Ministre qui expliquent à longueur de temps, en substance, que « c’est la faute de l’autre, c’est lui qui a commencé et en plus il est méchant ». Quel est le niveau de la perspective s’il vous plaît ? Que les Etats-Unis aient une phobie rouge depuis le début de l’ère industrielle, cela s’entendrait. Que les Européens aient préféré aliéner aux Etats-Unis une partie de leur souveraineté au profit d’une protection militaire, cela s’entendrait. Que les occidentaux ne cherchent pas une seconde à exploiter les moyens de communication modernes pour informer la population russe de notre position, leur rappeler notre amitié mais la conditionner à une sortie de la passivité politique, ça reste étonnant. Qu’on se laisse surprendre sans jamais avoir fait l’examen de conscience que la Russie et la Chine nous invitent à réaliser, ce n’est pas acceptable. Qui est dans le culte de la personnalité aujourd’hui en focalisant toute son attention sur un seul homme alors que la situation géopolitique est complexe ? la position de la Turquie, du KSA, de la Chine, de l’Afrique et partiellement de l’Inde semble indiquer que l’occident est regardé de travers par le reste du monde, non ? On nous reproche le péché d’orgueil, une vanité écoeurante et un snobisme qui ne peut qu’inviter à se détourner de notre modèle.

On a même pas essayé d’empêcher la déliquescence de la religion, on a tué dieu, on joue dans des flaques du sang de son fils. On a offensé dieu, c’est peu dire. On a érigé les Lumières en modèle pour mieux en ricaner dans le postmodernisme. On a glorifié Rousseau, l’anticapitaliste primaire historique, on a laissé Marx poser les jalons du communisme le plus radical imaginable, on a laissé Hitler prospérer sur la base d’un antisémitisme furieux, on a marché sur nos voisins en prétextant leur apporter la civilisation : tout notre passé récent montre qu’il nous reste toutes les leçons à tirer de l’histoire avant de les enseigner. Mais on donne des leçons quand même. On oriente nos budgets vers l’armement plutôt que d’user de raison et admettre que les critiques ont un fond, que nos propres fondements nécessitent encore quelque consolidation avant de les canoniser à l’échelle planétaire – c’est un euphémisme. En pleine gloire de nous-mêmes, vindicatifs, hypocrites, absurdes, on jette la pierre sur le voisin et on s’étonne qu’il renvoie des charges lourdes. Nous provoquons, par nos comportements cyniques, la colère de nos voisins. Nous nous mettons profondément en tort vis-à-vis d’eux et aussi vis-à-vis de nous, peuple d’occident, qui pour beaucoup trouvons dans l’unilatéralisme de nos élites une profonde source de déception, pour le moins. Où est l’universalité dans notre position, s’il vous plaît ? Bien-sûr, on s’est laissé dériver dans l’anti-réalisme et l’anti-rationalisme des opposants aux Lumières et il nous est pénible d’admettre qu’on ne peut pas recourir à notre existentialisme chéri pour élaborer un beau récit qui justifierait nos entreprises suicidaires. Nous avons abandonné la raison, nous avons renoncé à constituer un corpus noétique au sujet de nous-mêmes – et préféré la laïcité, forme libérale du renoncement intellectuel. Nous ne nous voyons pas tels que nous sommes et laissons aux autres le soin de nous définir. S’ils décident qu’ils n’y voient que néant, nous ne serons plus là pour le leur reprocher et nos intellectuels postmodernes justifieront par leurs écrits les bonnes raisons qui ont légitimé le rejet par le reste du monde. Nous sommes abjects dans cette partie de l’histoire, indignes des valeurs qui ont porté nos peuples. Poutine n’est pas la cause de la guerre, il en est le responsable, à son propre désarroi.

 

Edit du lendemain

Je viens de voir que Jacques Attali a publié un article sur la Russie :

« Si le monde est ainsi, pour la troisième fois, au bord du gouffre, c’est parce que la Russie n’a pas su encore s’ancrer dans la démocratie, seule véritable garantie contre le bellicisme. »

Si par hasard on se demande de quel côté est l’arrogance, tout est inscrit sur le blog du roi des coqs. La seule hypothèse de Monsieur Attali, c’est que la Russie « n’a pas su encore s’ancrer dans la démocratie ». Autrement dit, elle n’a pas encore assez réussi à nous prendre pour modèle. Pauvre d’elle. Nous en revanche, évidemment, on a su s’ancrer dans la démocratie au point que… au point que quoi ? notre président prend-il des décisions conformes à l’avis du peuple ? est-ce raisonnable de réduire le pacifisme à la démocratie ? La cloche de Braudel n’y est-elle pour rien ? Si on peut être pauvre et pacifiste à partir du moment où on vit en démocratie, pourquoi choisit-on les sanctions économiques comme outil de coercition ? Ce n’est pas la démocratie qui explique la possibilité de limiter le bellicisme, je ne devrais même pas avoir à le dire tellement il faut être idéologue radical pour dire le contraire. C’est la possibilité pour le peuple de vivre en paix – et c’est extrêmement différent de l’anti-bellicisme. Pour limiter l’instinct belliqueux, il faut ne pas affamer son peuple, le protéger de ses ennemis naturels et le rendre responsable de lui-même autant que possible. Ce n’est pas exclusivement la définition de la démocratie, mais le produit d’un ensemble complexe religieux-démocratique-capitaliste-libéral-éclairé. Personne n’a jamais réussi à rendre un peuple « autonome » – démocratique – sans d’abord lui donner les moyens d’entreprendre – libéral. Le réductionnisme démocratique est un leurre socialiste, une technique essentiellement rhétorique qui vise à neutraliser l’individu en lui faisant croire que ses droits sont prioritaires sur ses devoirs. Non, ce qui permet à une nation de ne pas arbitrairement agresser ses voisins, c’est la prospérité dans un cadre éclairé, laïque, démocratique bien-sûr aussi, et qui partage l’idée autrefois religieuse qu’une cause commune peut nous transcender, qu’on peut viser collectivement un bien supérieur et accomplir par l’union un destin impossible à la seule échelle individuelle. Mais comme en occident il y a beaucoup d’intellectuels de gauche qui ne raisonnent qu’à travers le prisme du tout générique, le social-sime, le commun-isme, on perd de vue l’équilibre entre la liberté (qui est plus qu’une liberté, c’est une responsabilité) de l’individu à entreprendre et créer de la richesse et la projection à l’échelle collective d’objectifs sociaux. Le socialisme qui prend le peuple pour seule composante valable et qui croit que la paix ne vient que de la démocratie – ça marche ensemble – perd de vue complètement la responsabilité individuelle et du même coup enfle celle de l’état, créé un déséquilibre des forces en sur-valorisant la représentativité des responsables politiques et en niant la qualité de l’entreprise individuelle originale. L’histoire a montré que le discours socialiste cache une réalité cruelle : celui qui ne vise que l’état finit par s’en prendre à l’individu au point de l’annihiler. Mieux vaut encore un bellicisme envers des nations étrangères qu’un bellicisme d’une élite contre son propre peuple. Donc non monsieur Attali, une fois de plus, votre analyse de la situation n’est pas éclairante, elle est fausse et simpliste. Elle prolonge l’absurdité de laisser des pseudo-élites diriger des états devenus trop gras pour être agiles. Aujourd’hui, l’état français engage le peuple dans une guerre sans lui demander son avis. Le Président Macron n’avait pas signalé dans son programme qu’il allait participer à humilier et créer une coalition contre la Russie. L’actualité n’a rien de démocratique, ni d’une part ni de l’autre. Ce sont des chefs d’états entre eux qui s’envoient des menaces et des pierres au visage sous le regard médusé de certains citoyens qui n’en reviennent pas que les élites se comportent de façon aussi irresponsables. Les commentaires des élites gauchistes sont ahurissants de complaisance. Attali précise n’avoir même « pas peur » de cette menace nucléaire tellement elle est énorme : évidemment, quand on est à ce point du côté des lanceurs de pierres, on sort du domaine de la peur, la mort devient comme un jeu, l’anéantissement de l’espèce le produit potentiel de la sérendipité. C’est tout le contraire de ce qu’un peuple démocratique attend de ses élites.

Entre parenthèses, la droite n’offre pas un visage bien meilleur, elle tombe elle aussi dans le démocratisme sans nuance. Edouard Philippe assure que sur l’Ukraine, « Macron tient la barre » – expression bien ambigüe qui ne présage rien de bon, avant de préciser : « Poutine a attaqué une démocratie et nous devons défendre les démocraties ». Simplisme navrant. David Lisnard est aux chevets des Ukrainiens, je ne l’ai malheureusement pas entendu offrir une vision, comme il sait le faire parfois, qui nous sorte de la polarisation à outrance.

Remarque finale : ce n’est pas le plaisir de critiquer les élites qui m’anime mais une incapacité à rendre compte de l’actualité autrement que par la médiocrité des décideurs. De fait, la situation est déplorable, nous sommes au plus près du pire et l’unanimité contre Poutine me laisse penser que ce consensus est une fabrication pratique et partisane plutôt qu’une position éclairée et partagée.

Toute dernière parenthèse : une authentique démocratie impliquerait davantage les citoyens dans la prise de décision, ce qui en amont nécessiterait de lui avoir enseigné les bases de la logique et de l’esprit critique. Une société qui paie ses professeurs au lance-pierres, comme en France, prend le risque d’abandonner sa jeunesse au gauchisme, à l’anti-capitalisme et entretient elle-même l’idée que l’état peut se substituer à la responsabilité individuelle. Tant que nos enfants seront « élevés » hors des sentiers de la réussite entrepreneuriale, artistique et intellectuelle, difficile d’imaginer que les adultes puissent activement et de façon intéressante mener leur propre destin par une participation à la vie démocratique. La réalité concrète est que la démocratie est une idée, pour l’instant essentiellement organisée autour d’idées binaires et simplifiées pour inciter la masse à approuver un personnage de fiction. Le résultat en est évidemment que les candidats qui se succèdent aspirent d’abord à figurer parmi les personnages historiques plutôt qu’à l’émergence du vrai dans le réel par la fécondité de la masse éduquée. La démocratie telle qu’elle est vendue par les politiques et qui sert de motif à la guerre ressemble davantage à une aristocratie démocratique, par laquelle une forme faible de noblesse s’appuie sur l’aval du peuple pour construire des projets plus ou moins élaborés. Le peuple étant peu éduqué, les programmes en compétition ressemblent à des catalogues de Noël, certains catalogues à destination des enfants pauvres, d’autres à destination des enfants bourgeois. Même pour expliquer aux salariés qu’il faut travailler plus longtemps pour compenser l’allongement de la durée de vie, il faut déployer des trésors de simplification argumentaire, sans même parvenir à se faire comprendre d’ailleurs, on est ici très loin de la démocratie par laquelle un peuple comprend ses propres intérêts et délibère en toute intelligence pour une remise à l’équilibre de son système de financement. Et il en va de même pour l’immigration, grand sujet pour les imbéciles. On en vient à demander au peuple : « tu acceptes que quelqu’un de nouveau entre dans la maison ou tu vas te fâcher ? », un peuple à ce niveau là de compréhension est inapte à la démocratie, il faut arrêter de faire semblant. La réalité est que les individus sont massivement dans une course effrénée à la gratification immédiate, en plein de déni de réalité, angoissés par l’existence, en fuite de soi, incités par la mode existentialiste radicale à céder aux folies de leur imagination capricieuse, sous l’emprise de l’idée d’état providentiel et désespérément en quête de nouveaux repères spirituels depuis qu’on a insinué que dieu était plus ou moins mortel. Après 15 ou 20 ans passés sur les bancs de professeurs gauchistes qui n’ont jamais rien vu du monde, comment ose t-on défendre l’idée que nous avons formé des citoyens à la hauteur du modèle démocratique ? Ce n’est pas tout à fait un hasard si les autocrates n’arrivent pas à comprendre notre système : ce qu’on en dit ne correspond en rien à ce qu’on en laisse voir et advenir dans les faits. Nous sommes ignorants et oublieux de notre propre incurie mais les autres civilisations ont un regard objectif sur nous, ils voient bien qu’on se raconte des histoires à longueur de temps et qu’on nage en pleine fiction, que la mauvaise foi existentialiste est notre modèle implicite, qu’on prend nos rêves pour la réalité et qu’on donne des leçons d’idéologie qu’on est incapables d’appliquer à soi-même. Bien-sûr que c’est l’histoire de la poutre et du cheveu : Poutine nous regarde vraisemblablement avec plus d’acuité que nous-mêmes et c’est la vraie raison pour laquelle il n’est pas intéressé à nous emprunter nos codes. Lui aussi voit bien arriver ce qu’on refuse de voir : la Chine attend son heure et compte bien nous faire payer le prix sans réduction de notre arrogance historique. Par ailleurs, de plus en plus d’indices démontrent qu’un MBS pourrait parvenir à saisir l’opportunité d’une rivalité communautaire entre d’un côté 2 milliards de musulmans déjà potentiellement acquis à sa cause en tant que Prince des terres sacrées et de l’autre une civilisation d’autant d’hommes en perte de repères qui attend une nouvelle figure tutélaire pour se donner corps et âme à une nouvelle idée du monde. Ce serait alors une communauté de 2/3 de l’humanité qui s’opposerait au démocratisme ridicule de l’occident, un nouveau poste serait créé : roi du monde. Fin de l’utopie démocratique à l’échelle mondiale.

Au lieu de jeter l’opprobre sur le voisin, il est grandement temps de poser un regard lucide sur nous-mêmes, juger avec autant de lucidité les intentions du grand frère américain et enfin comprendre que l’histoire n’est pas finie, elle continue de s’écrire et que nous ne sommes pas nécessairement les porteurs exclusifs de toutes les vérités. L’inclusivité pourrait commencer par améliorer notre vision politique à l’échelle internationale, envisager par exemple que le modèle monarchique est peut-être plus stable que le démocratisme radical (et tellement irréaliste qu’il s’en trouve toujours falsifié), qu’il manque une permanence dans l’exercice du pouvoir, qu’il existe dans nos sociétés un déficit chronique de transcendance qui fragilise le socle démocratique par le développement d’une forme de cynisme mesquin ou morbide, que l’immigration non choisie comporte toujours une grande part de détresse, d’abord pour les migrants mais aussi pour les accueillants qui n’ont pas les moyens intellectuels de comprendre ces mouvements et tombent sottement dans le ressentiment. Tous les modèles rivaux tentent, ont tenté ou tenteront le capitalisme, la Russie s’est essayée à une forme primaire de démocratie, les états les plus religieux aménagent un espace pour le libre échange, il reste peu d’états aussi narcissiques et fermés que l’occident au point qu’ils nient qu’il existe chez les voisins quoi que ce soit de bon. Il n’y a que nous qui refusons en bloc tout ce qui n’est pas strictement conforme à nos principes. Si les Russes se sont laissés voler leur état, pris par surprise par la libéralisation du marché et l’arrivée au pouvoir d’une bande mafieuse, ils en tireront d’eux-mêmes les conséquences, ce n’est pas à nous d’imposer à leur chef notre regard sur ce que doit être un état. L’ingérence est peu compatible avec l’esprit démocratique, n’est-ce pas ?

Edit du surlendemain

Je viens de voir que Jacques Attali a publié son « analyse » dans les Echos. Un lectorat éduqué qui suit l’actualité économique se retrouve parasité par un gauchiste qui vient leur expliquer que si Poutine est « belliciste » (ce qu’il n’est pas, historiquement) c’est parce que son pays n’est pas assez ancré dans la démocratie. Évidemment comme toujours avec Attali, tous les commentaires qui ne vont pas dans son sens sont supprimés d’office, il ne reste toujours que les avis favorables au grand démocrate. Le fait que la Russie n’ait jamais souhaité implémenter le capitalisme dans toutes ses composantes mais uniquement et toujours, en URSS comme en Russie, de façon partielle, ça doit certainement être un détail. Le fait que la Russie n’ait de République que le nom, il n’existe plus de Res publica en Russie, et qu’ainsi il reste du communisme l’essentiel de la doctrine, la propriété commune revient en réalité à ceux qui représentent l’état… tout cela est occulté par Mr Attali qui se concentre toujours sur la forme la plus valorisante de la doctrine gauchiste : la fameuse parole du peuple. Que l’individu ne soit réellement jamais propriétaire de rien, qu’il soit toujours potentiellement ou de fait dépossédé par une élite, que ses titres de propriété puissent toujours être remis en cause, que la corruption reste la règle : doit-on penser que la démocratie règle cela ? Peut-on réellement croire que la démocratie dans notre propre pays ait été la volonté du peuple ? que notre constitution, qui place la propriété privée en tête des priorités, soit vraiment la décision du peuple ?

Non. Ce qui fait qu’en occident notre système est fonctionnel est d’abord un concours de circonstances historiques, un malentendu initial qui trouve son origine dans la volonté des nobles de conserver leurs privilèges en s’appuyant sur un contrat social qui flatte le peuple. Sans le savoir, la mesquinerie des nobles de la fin du 18è siècle a permis l’implémentation du capitalisme dans une ambiance d’effervescence démocratique et c’est cela qui a permis le limiter le recours à la guerre pour créer de la richesse. Ce n’est pas la démocratie, c’est même presque l’inverse : c’est l’installation du peuple dans un rapport de confiance (relative) à ses élites qu’un mensonge a pu s’installer (la démo-cratie des lumières, la majorité, le droit de vote) : l’illusion de puissance à destination des foules. Le système fonctionne et la perversité de la diversion continue à produire ses effets encore aujourd’hui. Mais ce qui assure à nos démocraties son incroyable durabilité, c’est l’accès de l’individu à la chose publique, non pas au niveau politique mais au niveau matériel. On dit n’importe quoi sur la démocratie parce qu’en France on a le goût, dans les salons, de la grandiloquence, on apprécie particulièrement les concepts utopiques qui font rêver les foules. Ce qui rend les européens de moins en moins agressifs vis-à-vis des autres peuples, c’est qu’ils sont de plus en plus prospères économiquement à l’échelle individuelle. Ce qui est beaucoup moins causé par le modèle démocratique authentique (des lumières, pas celle de la révolution de la noblesse) que par le mécanisme capitaliste de plus en plus libéral, permettant de faire travailler les pauvres des pays étrangers à notre profit sans avoir à les attaquer de façon armée. Si le recul du recours à la guerre provenait de la démocratie, on aurait pu demander au peuple européen s’il était d’accord pour agresser la Russie, la démocratie aurait permis de faire reculer le bellicisme. Mais ni d’un côté ni de l’autre la démocratie n’a été activée, sollicitée, engagée. La démocratie ici, c’est juste un vrai hors sujet. Dans les Échos, le sens de l’à-propos aurait pu conduire à expliquer plutôt le rôle d’une intégration économique complète dans la réduction du risque d’affrontement. Mais ça, un socialiste, ça ne sait pas l’expliquer, ça ne sait pas faire. Attali dans les Échos, c’est le cheveu sur la soupe.


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