Darmanin : « Le pays doit se réveiller »

Au sujet de la réforme des retraites, « le pays doit se réveiller et condamner la violence de l’extrême gauche » selon Gérald Darmanin.

Comme je suis citoyen de ce pays, je me sens concerné par cet appel. Je confirme que l’extrême gauche vise à alimenter le mauvais sentiment, soustraire l’individu à ses responsabilités, flatter un électorat qui désire vivre le plus longtemps possible sans travailler. Il est vrai qu’une fois toute responsabilité transférée au politique, on peut s’imaginer qu’il ne reste plus que le plaisir d’exister. Que Mélenchon est un être bien sympathique qui propose de moins travailler grâce aux bénéfices générés par des rentiers. La proposition de l’extrême gauche ne provient pas d’une pensée mais d’un songe, d’un idéal dans lequel la société deviendrait comme un parent protecteur et où chacun aurait tout loisir de se réinventer sans les contraintes de la survivance. Hors biologie, hors économie, une liberté d’enfant, celle qui s’énonce comme la possibilité de « faire ce qu’on veut quand on veut ». Cette proposition revient à faire de la retraite un retour à la petite enfance plutôt qu’un chemin vers la sagesse.

Ruffin et Mélenchon tiennent leurs idées politiques d’une compassion narcissique qui feint de s’intéresser au sort des pauvres et des faibles sans jamais leur expliquer comment devenir riches et puissants. Prétendre sortir quelqu’un de la misère sans le former à sa propre réalisation revient à l’aliéner plutôt qu’à le sauver, à lui trouver un nouveau maître pour s’assurer qu’il ne sache jamais comment financer ses vieux jours par lui-même. La retraite par répartition repose sur la bonne volonté des actifs à financer la vie des seniors, c’est donc un système altruiste qui fait qu’on ne travaille jamais seulement pour soi-même mais aussi toujours pour un autre. Revendiquer qu’il est possible de ne penser qu’à soi, laisser les actifs financer les retraites sans aller au bout de la logique du financement d’un tel système : qu’est-ce, si ce n’est un appel à l’égoïsme ? En réalité, Ruffin et Mélenchon utilisent cette fausse compassion non pas pour renforcer quiconque, mais pour fragiliser les élites dont ils désirent ardemment la place.

La tension politique provient en premier lieu d’une loi de la matière, l’impénétrabilité. Un objet ne peut jamais occuper la place d’un autre en même temps. La logique des agents obéit aussi à celle de la matière : un agent ne peut pas occuper exactement la même position qu’un autre en même temps. Paradoxalement, le fait qu’un agent occupe une place désirable augmente sa valeur. Nous sommes tous des organismes qui se meuvent vers des positions plus enviables, souvent déjà occupées par d’autres. Mélenchon aspire à se mouvoir vers une autre place que la sienne et il y trouve, malheureusement pour lui, des personnes compétentes et plus légitimes que lui à l’occuper. Sans valeur ajoutée, il ne lui reste que la logique de l’objet, la stratégie de la pétanque : pour occuper la place convoitée, il faut puissamment imposer une force sur celui qui l’occupe déjà. Comme il ne dispose pas en propre de cette force, il la trouve dans le faible, qui lui aussi désire une autre place que la sienne. Et c’est ainsi que se mettent en mouvement des organismes frustrés par leur sort. Mélenchon comble sa faiblesse, qui est d’abord une marque d’incompétence, par celle des autres. Toute la logique historique de l’extrême gauche depuis Marx tient au désir de remplacer les élites par les faibles. Sublimer la faiblesse en force, un mythe archétypal. Non pas pour qu’un monde meilleur advienne, puisque la souffrance des faibles est la principale ressource de cet agent réifié qui se présente lui-même comme une idole – une pure imposture – mais pour simplement occuper une place qui à ses yeux a plus de valeur que la sienne, simplement parce qu’il la désire. Il s’agit donc essentiellement de la logique du désir. Mélenchon ne propose jamais de solution à une personne pour qu’elle devienne plus forte, plus compétente, plus responsable. Il propose uniquement de se substituer à l’ordre actuel au moyen de la force, pour son bon plaisir. L’histoire démontre que cette logique ne crée que des perdants. Quel gain sociétal pourrait bien venir récompenser l’agression des agents compétents et légitimes ?

Au siècle précédent, cette logique a produit environ 100 millions de morts. Si Mélenchon et Ruffin devaient réussir, ce serait au même prix que la réussite d’un Staline. La Révolution, rêvent-ils : les riches seraient accusés et défaits sans autre procès; les pauvres seraient affamés par leur incompétence et la diminution rapide des ressources disponibles. L’histoire démontre que la logique de l’extrême gauche n’aboutit qu’à davantage de souffrance, voire à une profonde désolation à l’échelle de nations réduites en cendres.

La réforme du financement et des modalités de distribution des retraites est nécessaire, la démonstration de Macron est logique, précise et sans contradiction. Le recours à la violence, le plaisir de certains à affaiblir la société n’aboutira jamais à autre chose que l’aggravement de la précarité pour ceux qui souffrent déjà.

Monsieur Darmanin a raison, il faut que les français se réveillent face à l’extrême gauche. Pour sortir les plus faibles de la misère, il faut qu’ils travaillent, qu’ils prennent davantage de responsabilités sociales pour qu’ils en trouvent la contrepartie, et non des moindres : le financement de plusieurs décennies de vie sans travail. Car à 64 ans, il reste au moins 20 ans d’espérance de vie, entièrement financés par la collectivité. La retraite est un privilège de pays riche et généreux, vivre sans travailler durant des décennies un luxe absolu que le gouvernement propose de pérenniser. Certainement pas de quoi s’insurger, mettre le feu et pointer du doigt l’élu du peuple comme s’il était coupable d’avoir bien voulu faire son travail, lui.

Les plus gros contributeurs au financement de la retraite n’en bénéficient en général pas ou peu. C’est mon cas, je veux prendre l’entière responsabilité de mon existence jusqu’au dernier jour, je ne veux pas que l’état finance mon quotidien. Je suis d’accord pour participer au financement de la retraite afin d’aider ceux qui n’ont pas su constituer un capital par eux-mêmes. Je suis donc d’accord pour prendre la responsabilité que d’autres ont abandonnée. Mais si ces mêmes personnes crient leur ingratitude vis-à-vis de cette générosité bien organisée, à trouver que ce n’est jamais assez et qu’ils choisissent pour les représenter des personnes qui ne proposent rien d’autre qu’affaiblir les détenteurs du capital et les responsables politiques qui dédient leur existence à la collectivité, je ne peux proposer en retour que d’analyser leurs discours pour y découvrir la profonde mesquinerie, la sauvagerie affective du principe de lutte de classes, l’incompétence de ces personnes à renseigner l’esclave de ses désirs sur la façon dont on devient maître de soi.

Celui qui dépend de la retraite publique est d’abord celui qui a compté sur la collectivité pour assurer son avenir, c’est un calcul à la fois lâche et risqué. Le niveau de crispation actuelle tient d’abord à la naïveté des aspirant-retraités qui tapent sur ceux qui les financent en espérant ainsi en obtenir plus. La violence provoque l’affaiblissement du faible, le renforcement de sa frustration, elle facilite le passage de la difficulté d’exister à la rage en passant par l’amertume. Mélenchon et Ruffin ont besoin du ressentiment pour justifier l’attention qu’ils consomment, n’est-ce pas une preuve suffisante de leur incompétence politique et de la vacuité de leur proposition ?

Note : certes Emmanuel Macron peut paraître quelque peu rigide, lui aussi ressemble parfois à un objet déguisé en agent. Il faut tenter de s’imaginer ce qu’est accomplir son devoir, sacrifier une partie de sa réputation pour finalement n’obtenir que toujours plus d’ingratitude et de violence. Dire ce qui semble juste et bon après intense réflexion et de multiples tentatives pédagogiques et ne trouver que des gémissements colériques abondés par des imposteurs politiques qui vivent de l’espoir du pire. Se retrouver isolé comme une élite, à ne plus pouvoir dire à celui qu’on assiste qu’il serait dans son intérêt de prendre connaissance de sa situation et de moins se concentrer sur ses affects. Ce n’est pas qu’il manque d’humanité ou d’empathie, c’est qu’il se retrouve à diriger contre son peuple parce que son peuple ne se comporte pas comme tel. Le peuple français s’est divisé au moins jusqu’à l’individu. Si cet individu parvenait à devenir un sujet, c’est-à-dire un citoyen majeur et pleinement responsable, le recul de l’état serait parfaitement acceptable et même adéquat. Mais si cet individu se divise lui-même en une multitude de désirs contradictoires dont le contrôle noétique ne lui permet même plus d’apercevoir son unité ou celle du monde, que l’intelligence est tellement fragmentée par l’affect qu’elle ne sert plus que l’impulsion purement hédoniste, quelle option politique reste t-il si ce n’est l’autorité du poste, la qualité de la place, le privilège de la fonction ? Le Président Macron comprend bien que sa place paraît enviable et prestigieuse, mais il ne peut pas la vivre comme telle, il ne peut qu’en percevoir l’exigence, le niveau de sacrifice, le risque. Il prend ses responsabilités, pour son peuple, sous l’effet du mandat qu’il a co-contracté avec lui. Quel est le sens de la proposition politique qui voudrait se placer du côté du peuple tout en dénonçant ses élus ? Il faudrait, en tant que peuple, bien vouloir considérer un instant le message que nous envoyons à nos élus. Est-ce que nous voulons leur signifier qu’ils nous doivent le confort, le bonheur ou la liberté ? Ne voyons-nous pas que ce que nous réclamons d’un autre, nous le perdons instantanément du fait même de le demander ? Le confort, le bonheur et la liberté appartiennent à l’homme responsable, à celui qui agit conformément à ses devoirs et aux contraintes natives de l’existence. Les décennies qui précèdent la mort ne relèvent pas d’abord une responsabilité d’élu, elles sont fondamentalement le produit des décisions de chaque personne durant toute sa vie. Le président et ses ministres n’ont pas pour vocation à distribuer ce qui appartient déjà à l’individu, à savoir la responsabilité de constituer des économies pour pouvoir, s’il le désire, se retirer plus tôt de la vie active par exemple. Rien, légalement, n’empêche de prendre sa retraite à 32 ans. Cela oblige seulement à démontrer une très forte compétence à générer et gérer du capital, à jouer le jeu commun. Tous ceux qui n’ont pas cette compétence ou ne souhaitent pas jouer le jeu doivent se plier à la règle commune de la compensation, qui elle-même s’établit selon les contraintes de financement systémique. Le gouvernement et la présidence ne peuvent pas se contenter de simplisme ou d’hédonisme, ils doivent raisonner et ne peuvent que poser la population comme globalement suffisamment raisonnable pour comprendre un raisonnement de complexité moyenne basse. Si le désir se substitue entièrement à la raison chez l’individu, alors la responsabilité de l’élu augmente, parce qu’il reste nécessaire que ce qui est perdu dans le bas de la hiérarchie remonte au sommet. Ce n’est pas de l’autoritarisme. Moins la population est capable de sacrifier ses désirs par qualité de raisonnement, plus le politique doit démontrer une capacité de compensation et sacrifier ces désirs par l’exercice d’une contrainte. À moins, avec Mélenchon, de désirer la dégénérescence complète de l’état pour célébrer la révolution des affects de l’envie et de la rage.

Note sur la note : je pense que E. Macron n’a pas la compétence, aujourd’hui, pour expliciter ce qui reste maladivement latent dans la relation entre le politique et le citoyen. Comme tout le monde, il constate une inadéquation mais il reste manifestement incapable de la décrire avec suffisamment de précision pour en réduire l’étendue. Il n’a probablement pas encore eu le temps de mûrir pleinement une réflexion philosophique sur le sujet politique – et c’est très regrettable – la philosophie ayant notamment pour rôle d’expliciter l’évidence latente, les principes premiers sous-jacents, l’in-su (bien que vu) maintenu à l’état de non-dit. La complexité de la relation dirigeant-dirigé (qui joue aussi la relation sujet-individu) se manifeste comme un spectacle dont on ne connaît bien ni l’auteur, ni les acteurs, ni l’intention. L’espoir qui peut naître ici, c’est que le futur ex-Président bénéficiera de son expérience de la difficulté à gouverner pour expliciter ce que nous vivons aujourd’hui. Il est probable que la conscience de notre actualité ne nous parvienne qu’avec un très fort décalage temporel. L’événement détaché de la conscience se vit comme une crise mais se révèle à travers l’histoire comme une occasion d’expérience pour l’Esprit en progrès. Un jour, peut-être, nous dira t-il ce qu’aujourd’hui nous expérimentons collectivement comme une incompréhension mutuelle, une crise démocratique. Certains prétendent qu’il s’agit d’une divergence de projets, je ne le crois pas du tout, parce qu’il m’apparaît que l’extrême gauche n’a pas de projet politique (tuer le riche et aliéner le faible plus qu’il ne l’est déjà ne constitue pas un projet politique, au contraire, il ne s’agit que d’un retour à la barbarie, il suffit de voir les rues de Paris en ce moment pour s’en apercevoir).


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